Le rayon vert
la poussée écologiste aux élections municipales vient de loin. La multiplication des canicules, la fatigue psychique de populations épuisées par une pression concurrentielle envahissante, la crise démocratique qui rend insupportable la verticalité du pouvoir : autant de facteurs qui expliquent l’attrait qu’exercent les Verts sur l’électorat.
A partir d’un problème concret, le réchauffement climatique, l’écologie sert de fil conducteur à un questionnement critique du monde contemporain. L’alliance réussie entre l’écologie et la gauche ne devrait pas surprendre non plus. Les penseurs de droite ont certes leur propre version de « la terre qui ne ment pas », et la critique heideggérienne de la technique n’est pas spécialement de gauche. Les enquêtes d’opinion montrent toutefois que la préoccupation écologique résonne surtout chez les électeurs de gauche. Les données collectées par le Cevipof sur les préférences politiques des Français montrent une corrélation forte entre l’ auto positionnement sur l’axe gauche-droite et le souci de l’environnement. L’écologie moderne est un nouvel universalisme dont le fondement est de gauche.
Le Covid a sans doute également joué son rôle dans la poussée verte. Les électeurs ont fait le lien entre le Covid et la crise d’une hyperconnexion mondiale devenue incontrôlable. Que l’on puisse brutalement interrompre le cours de l’activité économique au nom d’un impératif sanitaire a également montré la force des utopies : il est donc possible de tout interrompre, d’organiser une sorte de grève générale du monde contemporain. La preuve que l’on pouvait vivre autrement s’est logée dans l’imaginaire collectif. Le confinement n’a certes pas toujours été glorieux. Il a refermé la vie sociale sur l’espace clos de la famille. Pour nombre de femmes, la pression d’une division sexuée du travail domestique est revenue en force. Mais il a détourné les Français des thèmes qui les poussent à droite et à l’extrême droite : l’insécurité, la peur de l’autre. Un désir de solidarité s’est manifesté. Le rôle de l’Etat comme protecteur en dernier ressort a renouvelé l’attrait pour un discours de gauche.
« L’air de la ville rend libre », selon un vieux proverbe médiéval. Que la poussée verte se fasse surtout dans les métropoles est à la fois la confirmation de son inspiration et son point faible. Les grandes villes sont le lieu d’expression d’une demande sociale qui n’est pas toujours à l’unisson du reste du pays. Il y a longtemps que les ouvriers ont été chassés des villes, après l’avoir été des usines, dans un processus de relégation géographique et sociale irrépressible. La crise des « gilets jaunes » a fait comprendre la dimension territoriale de la crise sociale. Le sentiment de vivre dans une cité à l’abandon contribue à abaisser l’image de soi et détériore sa relation aux autres. Lorsqu’elle est privée d’avenir, il est difficile pour une population blessée de se convaincre que le réchauffement climatique est une priorité.
Il y a donc beaucoup à faire pour que la poussée observée aux municipales se transforme en une victoire à l’échelon national. Une étrange déconnexion s’est produite entre les deux niveaux. Les partis de second tour, LREM et RN, ont été totalement absents du scrutin local, comme si les Français raisonnaient sur deux échelles distinctes : celle de leur vie concrète, sur le terrain municipal, et une autre plus abstraite, plus idéologique, sur le plan national. Le Covid, après les « gilets jaunes », a toutefois montré combien il était devenu urgent de les reconnecter : de réaménager l’espace social, les transports en commun et les temps de travail, de préserver un maillage serré de biens publics, de repenser l’occupation des sols et des espaces commerciaux, de favoriser les circuits courts. Les municipales aurontelles été une répétition générale ou une fin en soi? On le saura très vite. La manière dont les nouvelles mairies parviendront à inventer une manière différente de faire de la politique en décidera largement.