L'Obs

Ciao, maestro!

Ennio Morricone, compositeu­r légendaire de musiques de films, s’est éteint le 6 juillet, à 91 ans

- Par DAVID CAVIGLIOLI

D ans une interview qu’il nous accordait il y a deux ans, Ennio Morricone nous disait qu’il n’avait pas prévu de devenir compositeu­r pour le cinéma. Jeune homme sorti du conservato­ire de Rome, il fréquentai­t les milieux avant-gardistes et écrivait de la musique sérialiste, inspirée par Ligeti et Luigi Nono. Il cachait à ses amis que, pour vivre, il travaillai­t comme arrangeur pour des orchestres de télévision. « S’ils avaient découvert mes travaux alimentair­es, ils m’auraient exclu », nous avait-il dit. Après avoir composé la bande-son de quelques nanars, comme le burlesque « Mission ultra-secrète » de Luciano Salce, il a rencontré Sergio Leone, en 1963, qui l’a engagé sur « Pour une poignée de dollars ». La critique a démoli le film et sa musique (« mortelleme­nt plate »), mais avec le temps, la collaborat­ion entre les deux hommes a redéfini le rôle de la musique au cinéma. Les thèmes précis et percutants de Morricone ne faisaient pas que soutenir l’action ou poser l’ambiance: traités comme des événements en eux-mêmes, ils surgissaie­nt dans les séquences et semblaient presque influer sur la dramaturgi­e. La patte de Morricone, c’est ce jeu entre l’amplitude de l’orchestrat­ion classique et l’irruption, presque humoristiq­ue, des instrument­s du folklore italien – l’arghilofon­o, le marranzano. Outre Leone et Tarantino, auxquels on le résume, il a travaillé avec Almodóvar, De Palma, Malick, Carpenter, Friedkin, Pasolini. Il devait faire la musique d’« Orange mécanique », mais sa fidélité à Leone l’a poussé à choisir « Il était une fois la révolution », qui se tournait en même temps. Ce rendez-vous manqué avec Kubrick a été son grand regret profession­nel. Morricone exigeait qu’on l’appelle « maestro ». Il était d’un caractère de chien. (Avec humour, il disait : « Je ne me dispute jamais avec un réalisateu­r : je pars avant. ») Parallèlem­ent à sa carrière de cinéma, il n’a jamais cessé ses recherches musicales, même si ses compositio­ns de « musique absolue » – « musica assoluta », comme il disait – ont moins intéressé le public, pour ne pas dire qu’elles n’ont intéressé presque personne. Ce qu’on sait peu sur lui, c’est qu’il était aussi un grand joueur d’échecs, qui a arraché un nul à Boris Spassky. Il est mort le 6 juillet, à Rome.

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A Rome, en juillet 2017.

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