Ciao, maestro!
Ennio Morricone, compositeur légendaire de musiques de films, s’est éteint le 6 juillet, à 91 ans
D ans une interview qu’il nous accordait il y a deux ans, Ennio Morricone nous disait qu’il n’avait pas prévu de devenir compositeur pour le cinéma. Jeune homme sorti du conservatoire de Rome, il fréquentait les milieux avant-gardistes et écrivait de la musique sérialiste, inspirée par Ligeti et Luigi Nono. Il cachait à ses amis que, pour vivre, il travaillait comme arrangeur pour des orchestres de télévision. « S’ils avaient découvert mes travaux alimentaires, ils m’auraient exclu », nous avait-il dit. Après avoir composé la bande-son de quelques nanars, comme le burlesque « Mission ultra-secrète » de Luciano Salce, il a rencontré Sergio Leone, en 1963, qui l’a engagé sur « Pour une poignée de dollars ». La critique a démoli le film et sa musique (« mortellement plate »), mais avec le temps, la collaboration entre les deux hommes a redéfini le rôle de la musique au cinéma. Les thèmes précis et percutants de Morricone ne faisaient pas que soutenir l’action ou poser l’ambiance: traités comme des événements en eux-mêmes, ils surgissaient dans les séquences et semblaient presque influer sur la dramaturgie. La patte de Morricone, c’est ce jeu entre l’amplitude de l’orchestration classique et l’irruption, presque humoristique, des instruments du folklore italien – l’arghilofono, le marranzano. Outre Leone et Tarantino, auxquels on le résume, il a travaillé avec Almodóvar, De Palma, Malick, Carpenter, Friedkin, Pasolini. Il devait faire la musique d’« Orange mécanique », mais sa fidélité à Leone l’a poussé à choisir « Il était une fois la révolution », qui se tournait en même temps. Ce rendez-vous manqué avec Kubrick a été son grand regret professionnel. Morricone exigeait qu’on l’appelle « maestro ». Il était d’un caractère de chien. (Avec humour, il disait : « Je ne me dispute jamais avec un réalisateur : je pars avant. ») Parallèlement à sa carrière de cinéma, il n’a jamais cessé ses recherches musicales, même si ses compositions de « musique absolue » – « musica assoluta », comme il disait – ont moins intéressé le public, pour ne pas dire qu’elles n’ont intéressé presque personne. Ce qu’on sait peu sur lui, c’est qu’il était aussi un grand joueur d’échecs, qui a arraché un nul à Boris Spassky. Il est mort le 6 juillet, à Rome.