“On risque une explosion de la consommation d’animaux de contrebande”
L’association Peta appelle l’OMS à faire fermer les « marchés humides ». A-t-elle raison?
Les combats de Peta sont louables. Mais le débat autour de ces marchés repose sur une forme d’« exotisation » un peu raciste de la société chinoise, qui serait sale, avec une population trop proche des animaux et des problèmes sanitaires qui découleraient de cette proximité… Le terme même de « marché humide » est un contresens : wet market signifie que ces marchés sont nettoyés tous les jours, donc propres!
Ce débat révèle une profonde méconnaissance de l’histoire et de la société chinoises. Le souvenir des famines des années 19501960 est encore vif en Chine. La consommation de viande y est valorisée, comme ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale en Europe. La cause du bien-être animal est, elle, défendue par les bouddhistes et taoïstes, végétariens mais minoritaires…
Il y a quand même des passages d’espèce de l’animal à l’homme, notamment dans le cas du Sras.
Certes, mais on a plaqué le scénario du Sras sur celui du Covid-19, dont on n’est pas certains qu’il provienne du marché de Wuhan ! Ces marchés, au coeur des villes, fournissent près de la moitié de la consommation de viande car les Chinois se méfient de la viande sous plastique des supermarchés et préfèrent acheter un animal vivant, pour s’assurer de sa fraîcheur.
Fermer ces marchés, contrôlés par des fonctionnaires et tenus par de petits producteurs, renforcerait les grosses exploitations industrielles, où les épidémies sont plus dévastatrices. Cela conduirait surtout à une explosion de la consommation d’animaux de contrebande, dans des marchés en périphérie, moins surveillés, avec sans doute plus de cruauté pour les animaux et un risque sanitaire accru pour les humains.
N’y a-t-il rien qui puisse être amélioré?
Depuis vingt ans et malgré sa politique de modernisation, l’Etat chinois ne parvient pas à établir une chaîne de production de la viande susceptible de gagner la confiance des consommateurs. Malgré tout, les Chinois sont très sensibles aux attaques, jugées sinophobes, sur leur prétendue cruauté. En les braquant, on risque de se priver des moyens d’agir. Alors qu’en s’appuyant sur les acteurs locaux, légitimes aux yeux de la population, on pourrait réorienter la consommation.
J’ai ainsi obtenu un financement de l’Agence nationale de la Recherche pour élaborer, avec des vendeurs, des consommateurs et des défenseurs du bien-être animal, un meilleur système de régulation, qui distinguerait les marchés d’animaux « sauvages » (souvent élevés par de petits producteurs) pour la médecine traditionnelle des marchés destinés à l’alimentation (poulets, poissons…).