L'Obs

MACRON PEUT IL SE RECYCLER ?

Le président jure qu’il veut prendre le grand tournant de la transition environnem­entale. Simple tactique pour récupérer des électeurs verts ou vrai changement de cap?

- Par MAËL THIERRY

Ce sont deux rendez-vous qui disent un cheminemen­t. Le 12 février 2019, alors que les « gilets jaunes » grondent dans la rue, Emmanuel Macron reçoit dans son bureau Cyril Dion, le réalisateu­r du documentai­re à succès « Demain », et l’actrice Marion Cotillard. Il les a entendus à la radio s’inquiéter de l’inaction gouverneme­ntale face à la crise climatique et les a invités par SMS à l’Elysée. Le premier est venu avec des études sous le bras validant les solutions radicales à mettre en oeuvre pour limiter le réchau ement à 1,5 °C : l’interdicti­on des voitures dans les centres urbains, la fin des vols intérieurs. « Vous ne le ferez jamais, vous n’irez pas à l’encontre de votre doctrine, et ça risque de mettre des gens dans la rue, dit Dion au président. La seule solution pour avancer, c’est de mettre le sujet entre les mains de citoyens tirés au sort. » Surprise : le chef de l’Etat, alors en quête de solutions nouvelles pour sortir de la crise qui secoue le pays, souscrit à l’analyse : « Pas mieux ! Donnez-moi huit jours et je vois ce que je suis capable de faire. » Seize mois plus tard, le président a a ronté des manifestat­ions contre les retraites et une pandémie quand il retrouve le cinéaste dans les jardins de l’Elysée. Ce 29 juin, devant les 150 de la Convention citoyenne pour le Climat dont Dion est le garant,

Emmanuel Macron dit oui au moratoire sur les nouvelles zones commercial­es, oui à la limitation des vols intérieurs et de la publicité sur les produits les plus polluants. « Bravo d’avoir eu l’audace, maintenant il faut aller au bout », glisse le réalisateu­r au chef de l’Etat. « Son côté libéral, les violences policières, ce n’est pas ma tasse de thé, dit-il. Mais il a eu le culot de prendre cette initiative, on n’a pas vu beaucoup de présidents de la République faire ça. »

LE MOMENT DE “FAIRE RESET”

Emmanuel Macron au chevet du climat? L’ancien rapporteur adjoint de la Commission Attali, le candidat En Marche qui voulait libérer la croissance se serait-il converti à l’écologie? A grand renfort d’annonces (15 milliards pour la transition) et de discours promettant une « reconstruc­tion économique et écologique » et un « avenir décarboné », le président de la République veut en tout cas convaincre l’opinion qu’il a pour de bon revêtu les habits verts. Son remaniemen­t et son plan dessinant la France d’après le Covid-19 lui o rent la fenêtre de tir. C’est le moment ou jamais de « faire reset », comme le lui a conseillé un écolo. Il en a besoin, car, depuis le départ de son ministre vedette Nicolas Hulot, il s’épuise à corriger son image. Entre lui et l’écologie, c’est une rencontre inaboutie. Un rendez-vous raté, selon Europe-Ecologie-les Verts, qui crie à la récupérati­on et aux discours sans lendemain. Un essai qui reste à transforme­r, plaide l’aile gauche de sa majorité. Qu’en est-il vraiment ? Le président « marcheur » s’est-il décidé à passer au vélo ?

« Alors, Pascal, il va quand même falloir qu’on fasse le gaz de schiste en France! » Quand Pascal Canfin, ministre délégué de François Hollande en 2012, rencontre Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint de l’Elysée, au début du quinquenna­t socialiste, ce dernier ne cache pas ses conviction­s : « Il a alors un discours très industrial­iste, favorable au gaz de schiste, au diesel », se rappelle Canfin.Tout est bon, y compris les cars portant son nom, pour relancer la croissance. Lorsqu’il s’engage dans la présidenti­elle, le ministre de l’Economie ne cache pas à quel point l’environnem­ent est pour lui un angle mort. Dans son QG de la tour Montparnas­se, il reçoit un jour le député européen et ex-patron d’EELV Pascal Durand : « On a parlé agricultur­e, diesel, énergie, raconte ce dernier. Il était déjà dans sa logique du “en même temps”, il comprenait ce que je défendais mais il anticipait les emmerdes à venir s’il fallait tout mettre en oeuvre. » D’écologie, dans sa campagne présidenti­elle, il est peu question. Mais le jeune candidat a compris qu’il fallait soigner les symboles. Notre-Dame-desLandes ? Avant de le conduire au grand oral organisé par le WWF qu’il dirige alors, Pascal Canfin lui glisse une solution : reprendre l’idée d’une médiation pour éviter un conflit avec les zadistes, « sinon tu fais du Valls ». Il touche juste. Quelques minutes après, Macron reprend la propositio­n en direct. Ce jour-là, devant un Panda en peluche, mascotte de l’ONG, le futur président assure que la sauvegarde de la planète est « un projet de civilisati­on » mais prévient : « Je ne suis pas non plus de celles et ceux qui disent que l’écologie devient une priorité au-delà de tout, sans se préoccuper de savoir comment l’on construit, ou qui croient en la décroissan­ce. » Un mois plus tard, le discours est moins policé. Lors d’une réunion devant les chasseurs, où le lobbyiste Thierry Coste, qui le conseille sur la ruralité, l’a accueilli d’une bise, le candidat En Marche lâche ce qu’il pense du programme d’EELV : « Je me suis arrêté à la ligne sur le nucléaire, ça m’a su . »

“PAS BON SUR CE SUJET LÀ”

A l’Elysée, il se révèle pourtant plus ambitieux et inaugure son mandat par deux coups d’éclat. D’abord le président réussit là où ses prédécesse­urs avaient échoué, en embarquant Nicolas Hulot. « J’ai bien compris que je n’étais pas bon sur ce sujet-là, c’est pour ça qu’il faut que tu sois là », lui a-t-il dit pour le convaincre. Sans imaginer alors que ce coup politique lui reviendrai­t en boomerang, tant les mots

du ministre démissionn­aire – « pas à la hauteur », « lobbys » – continuent de résonner. Deuxième fait d’arme, le 1er juin 2017, il répond à Trump en direct à la télévision après que ce dernier a dénoncé l’accord de Paris : « Make our planet great again. » Voilà pour les beaux discours. Les actes? Pour les Verts, ou Ségolène Royal, ils manquent cruellemen­t. Eux ne retiennent que le refus d’inscrire dans la loi la fin du glyphosate, l’augmentati­on du recours aux pesticides l’an passé ou encore l’applicatio­n de l’accord de libre-échange avec le Canada. « Isolation thermique des bâtiments, énergies renouvelab­les… tout ce qui est structurel n’a pas été engagé, estime le député européen Yannick Jadot. Emmanuel Macron veut répondre à la menace des écolos dans les urnes, pas à celle qui pèse sur le climat. » « Pour la gauche et les Verts, on n’en fait jamais assez, répond l’ex-ministre François de Rugy. Leur discours, c’est : “Vous êtes au pouvoir, vous n’avez qu’à appuyer sur un bouton.” On l’a fait un temps, puis ça a craqué, il y a des limites. » Allusion à l’augmentati­on de la taxe carbone à l’origine du soulèvemen­t des « gilets jaunes ». Mais il n’y a pas que EELV : l’an passé, un rapport du Haut

“C’EST LA SEULE FAÇON DE GAGNER EN 2022. LA PREMIÈRE ATTENTE DE L’ÉLECTORAT LREM AUX EUROPÉENNE­S, C’ÉTAIT L’ÉCOLOGIE.” UN SOUTIEN DU PRÉSIDENT

Conseil pour le Climat, un organisme indépendan­t, jugeait insu sante l’action du gouverneme­nt.

A bien y regarder, le vert Macron n’est pourtant pas si pâle. A son actif, l’abandon de grands projets – le centre commercial géant EuropaCity, la mine aurifère Montagne d’Or en Guyane, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais aussi l’arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim, la fermeture annoncée des quatre dernières centrales à charbon – et enfin la Convention citoyenne pour le Climat. « A part lui et moi, tout le monde dans la majorité était contre, se souvient Rugy, il a fallu se battre pour qu’elle ne soit pas torpillée. » « On a fait un paquet de trucs, mais ça n’imprime pas, avance le patron de LREM, Stanislas Guerini. Les écologiste­s feraient au pouvoir la moitié de ce qu’on est en train de faire aujourd’hui, on viendrait beaucoup moins les chercher. » Directeur général du think tank Terra Nova et coprésiden­t de la Convention citoyenne, Thierry Pech abonde en son sens : « On ne peut pas dire que ce gouverneme­nt n’a rien fait. Mais l’histoire va plus vite que les textes législatif­s. Il y a trois ans, il n’y avait pas de manifs de la jeunesse, de vague verte dans les scrutins. Quelque chose s’accélère. »

Emmanuel Macron en est le spectateur : incendies en Californie, en Australie, records de températur­e dans l’Arctique… Il voit la société s’écologiser à vitesse grand V, la demande de produits bio ou de vélos exploser. Il a vu aussi la génération climat dans la rue, et sa porte-parole Greta Thunberg dénoncer l’inaction des dirigeants à la tribune de l’ONU. « Dans les discussion­s internatio­nales, la question du climat est devenue un sujet diplomatiq­ue majeur, explique Rugy. Quand vous êtes le président français, vous

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En visite à la Mer de Glace (Chamonix), avec des scientifiq­ues, le 13 février.
 ??  ?? En novembre 2017, le président visite le stand français de la COP23 à Bonn. Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, l’accompagne.
En novembre 2017, le président visite le stand français de la COP23 à Bonn. Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, l’accompagne.
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Le 29 juin dernier, Emmanuel Macron répond aux propositio­ns formulées par les 150 membres de la Convention citoyenne pour le Climat.

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