L'Obs

LE GRAND COMMIS DU PRÉSIDENT

Digne représenta­nt de la haute fonction publique française, le nouveau Premier ministre ne fera pas d’ombre au président. Mais il présente un profil plus original qu’il n’y paraît

- Par CÉCILE AMAR, JULIEN MARTIN et MAËL THIERRY

D ans l’une de ses vies précédente­s, Jean Castex avait déjà vue sur ses futurs bureaux. Chargé de préparer les jeux Olympiques de Paris 2024 depuis l’hôtel de Cassini, le natif du Gers n’avait qu’à traverser le jardin pour aller rendre compte de son travail au Premier ministre, installé en face. C’est ce dernier, un certain Edouard Philippe, qui lui avait proposé ensuite de plancher sur la très délicate opération du déconfinem­ent, sans savoir qu’il mettait ainsi le pied à l’étrier à son successeur. « Quand ça se tendait

entre Macron et Philippe, Jean Castex a montré tous ses talents de diplomate, raconte un conseiller du Château. Même s’il devait son poste à Philippe, il défendait plutôt les positions de Macron parce que le serviteur de l’Etat qu’il est avant tout sait que la parole du président prévaut sur celle du Premier ministre. » Il faut croire que le chef de l’Etat a apprécié.

Un quinqua de droite et inconnu du grand public, un grand commis de l’Etat au style classique mais à la carrière et au tempéramen­t moins lisses qu’il n’y paraît : voilà donc la surprise du chef. C’est peu dire que ce choix a désarçonné jusque dans la majorité. Le soir même de l’annonce, une désormais ancienne ministre s’interrogea­it : « Remplacer Philippe par Castex, c’est “Maman, j’ai rétréci le Premier ministre”. Même origine, même parcours, mais en plus petit. » Manière de faire du nouveau locataire de Matignon une pâle copie de son prédécesse­ur: fils d’instit comme le maire du Havre (même si Castex a aussi eu un grand-père sénateur), passé par l’ENA et les grands corps (Cour des Comptes), mais sans assise politique nationale à la di érence de l’ex-lieutenant de Juppé. « Il coche beaucoup de cases : très bon technicien, élu local, estime un conseiller ministérie­l. Avec son accent chantant, ses costumes trop larges et ses vieilles lunettes, ce n’est pas la droite bling. Mais ça ne produit pas d’e et waouh. Les gens vont se dire : “Ah bon, c’est qui ?” »

Alors pourquoi lui? Si Jean Castex hérite d’un poste aussi stratégiqu­e dans la dernière ligne droite du quinquenna­t, c’est qu’il avait le profil parfait pour répondre aux souhaits du président. Ce dernier voulait reprendre le volant, piloter directemen­t sa fin de mandat depuis l’Elysée. Quel meilleur profil que celui d’un super-collaborat­eur, fin connaisseu­r de la machine d’Etat et qui assure ne pas « chercher la lumière » ? « Quand Castex parle de lui à la troisième personne, c’est pour dire “votre serviteur”, raconte une connaissan­ce commune du président et de son nouveau Premier ministre, qui voit dans ce duo un couple idoine. Il ne se plaindra jamais. Pour lui, c’est un immense honneur d’être là où il est. Il n’est pas très “monde d’après”, mais de toute façon, c’est Macron qui enverra les signaux politiques, pas lui. » Un ancien collègue de l’Elysée appuie : « Il aime bien faire des exposés liminaires, avec un peu d’emphase, son accent, une pointe d’ironie… C’est toujours le même numéro. Il est amusant, mais un peu classique. Il n’est pas du genre à prôner les jours heureux la fleur au fusil. Avec lui, on est plus proche du techno que du politique. Il n’est pas du tout intéressé par la vie politique partisane. Il se laissera imposer plus de choses que Philippe. »

Terne et techno ? Pas si vite. « Quand vous aurez appris à me connaître, vous verrez que ma personnali­té n’est pas soluble dans le terme de “collaborat­eur” », a répondu l’intéressé dans « le Journal du dimanche ». Père de quatre filles et amateur de rugby, Jean Castex vante volontiers son ancrage rural dans les Pyrénées-Orientales, parle un peu le catalan et s’entend bien avec le chanteur Cali. Avec son style très IVe République, il a été réélu maire de Prades (6000 habitants) avec 75% des voix en mars. « Quand vous faites de la politique dans le Sud-Ouest, en terres radicales, vous êtes un fin politicien », glisse dans un sourire son ancien voisin de bureau à l’Elysée, la plume sarkozyste Camille Pascal. La chercheuse en sciences comporteme­ntales

Coralie Chevallier renchérit: « Ceux qui disent qu’il ne sera qu’un exécutant ne le connaissen­t pas. » Elle ne l’avait jamais rencontré avant d’intégrer l’équipe qui le retrouvait tous les matins à 8 heures dans la cellule chargée de préparer le déconfinem­ent du pays: « C’est un rassembleu­r mais il a une vision, ses propres idées. Je ne l’imagine pas se laisser dicter sa conduite. Pour lui, ce qui était important, c’était le sanitaire d’abord, la reprise économique ensuite. C’est pour cela qu’on a fait reprendre l’école aux enfants les plus jeunes, dont les parents devaient s’occuper en priorité. Il était aussi soucieux que les décisions soient lisibles par la population. Et se référait souvent à la France rurale : quand on prônait des tests chez les médecins généralist­es, il avait en tête que c’était compliqué de s’y rendre pour beaucoup de Français loin des villes. »

« Franc du collier », « attachant »… Di cile de trouver des contempteu­rs parmi ceux qui l’ont côtoyé. A droite comme à gauche, dans son village comme à Paris, Jean Castex ne laisse que des bons souvenirs. Idem à la Cour des Comptes, qu’il a quittée cinq ans après sa sortie de l’ENA pour la direction départemen­tale des A aires sanitaires et sociales du Var, un choix très singulier dans ce grand corps de l’Etat: « Il est allé tâter du terrain, ça lui a plu. Il n’a pas un parcours classique, il est di érent. Jean est très chaleureux, aime plaisanter, faire des farces. Il a toujours un bon mot. Avec nous, il ne parle jamais de politique », témoigne un de ses amis, rencontré rue Cambon. « C’est une lame. Un haut fonctionna­ire dans toute sa splendeur, dit une proche de Xavier Bertrand. Mais c’est aussi un élu local empathique, je l’ai vu faire au marché de Prades. Macron a été séduit par l’intelligen­ce du type, hors norme. » La même prévient toutefois que l’énarque a une certaine « rigidité » : « Il est à deux doigts de faire passer Edouard Philippe pour un hippie. »

Quand Castex prend en 2017 la tête de la mission JO, il lui faut notamment trouver des ressources pour la Seine-Saint-Denis, départemen­t pauvre qui va accueillir de nombreux sites olympiques. Il se fait très vite ami avec le président PS du départemen­t, Stéphane Troussel. « Il est à l’écoute, facilitate­ur, réglo, dit ce dernier. Pour l’avoir éprouvé, il fait partie de cette technocrat­ie qui sait prendre des risques et bousculer l’appareil d’Etat. » Pendant la préparatio­n de Paris 2024 puis celle du déconfinem­ent, il se fait aussi apprécier d’Anne Hidalgo.

« Un homme bien », dit-elle. Et qui prônait, comme elle, la réouvertur­e des parcs parisiens.

En 2012, Castex a bien tenté une carrière d’élu au-delà des Pyrénées-Orientales. Mais il a échoué à devenir député. Ses tracts le présentaie­nt alors en homme « compétent », mettant en avant son « réseau ». Pour entrer à l’Assemblée nationale, ça n’a pas su . Pour devenir Premier ministre, ça a aidé. L’ex-proche collaborat­eur de Xavier Bertrand puis de Nicolas Sarkozy, habitué à négocier avec les acteurs de la santé, a un entregent très « en même temps » qui a plu au président. Parmi ses « amis », Jean-Claude Mailly.

L’ex-secrétaire général de Force ouvrière se souvient encore de son dernier congrès, en avril 2018. Les militants l’avaient hué, lui reprochant de ne pas avoir été assez pugnace contre les ordonnance­s travail d’Emmanuel Macron. Après la séance éprouvante, son téléphone avait sonné : « Comment tu vas ? Tu tiens ? » s’inquiétait Castex. « Il est fidèle en amitié. Même depuis deux ans que je ne suis plus rien, on est toujours en contact, raconte l’ancien patron de FO qui l’avait rencontré au début des années 2000 quand Castex était directeur général de l’hospitalis­ation et de l’organisati­on des soins au ministère de la Santé. Le bonhomme est respectabl­e.

Il est de droite, mais je connais des gens de droite qui peuvent être plus sociaux que des socialiste­s ! »

Son nouveau directeur de cabinet, Nicolas Revel, ancien de la mairie de Paris sous Delanoë, figure aussi en bonne place dans son carnet d’adresses. Ils se sont connus à la Cour des Comptes au début des années 1990. La socialiste Ségolène Neuville, qui avait battu Castex aux législativ­es avant d’être nommée secrétaire d’Etat sous Hollande, raconte avoir découvert cette proximité d’une drôle de manière en avril 2014. Elle venait d’entrer au gouverneme­nt Valls et écoutait les conseils des anciens : « Il faut que tu ailles voir celui qui s’occupe du social à l’Elysée. » La voilà donc face à Revel, alors secrétaire général adjoint chargé du secteur. « Vous êtes dans l’ancien bureau de mon adversaire politique », dit-elle. « Qui est-ce ? » demande le conseiller élyséen. « Jean Castex », répond-elle. « Ah, c’est mon ami », rétorque Nicolas Revel. Ségolène Neuville comprend alors que le Paris politique est un petit monde, celui d’un entre-soi d’énarques qui se succèdent et s’entraident. Un travers encore renforcé aujourd’hui, selon un pilier du quinquenna­t Hollande: « Un ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée [Macron] nomme Premier ministre un ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée [Castex], qui lui-même prend comme directeur de cabinet un ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée [Revel]. C’est le pouvoir des technocrat­es. La fin du politique. »

Il faut y ajouter deux hommes: l’exdirecteu­r de cabinet adjoint d’Edouard Philippe, Thomas Fatome, a tressé les louanges de Jean Castex auprès de son patron et l’a introduit dans le nouveau pouvoir. Fatome et Castex avaient tous deux conseillé Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Le bras droit du président, Alexis Kohler, le connaissai­t aussi : il avait fait son stage dans la préfecture du Vaucluse quand Castex en était le secrétaire général. Finalement, c’est Emmanuel Macron qui le connaissai­t le moins. Mais Castex l’avait déjà croisé: il a souvent raconté à ses amis ces jours de mi-mai 2012 quand il a transmis le pouvoir aux deux secrétaire­s généraux adjoints de l’Elysée de l’époque : Emmanuel Macron et Nicolas Revel. Un si petit monde…

Homme de réseaux et de l’ombre jusqu’ici, Jean Castex apporte aussi au président une carte du parti Les Républicai­ns qu’il a certes déchirée quelques jours avant sa nomination, mais qui a aussi été son sésame. A la fois proche de Xavier Bertrand

et se plaçant sous le parrainage de Sarkozy. De quoi poursuivre l’OPA macroniste sur l’électorat de droite ? « Je ne suis pas un thuriférai­re de Macron, mais c’est un coup politique majeur dans la fusion en cours des macroniste­s et des sarkozyste­s, en plus d’être un coup terrible donné à Xavier Bertrand, analyse avec assurance un proche de Sarkozy. La survie politique de Macron est à droite, il ne récupérera jamais la gauche, d’autant que les électeurs de gauche retrouvent un espoir avec les Verts. Jean Castex est un sarkozyste d’un point de vue a ectif, mais pas politique. Il est reconnaiss­ant à Sarkozy de lui avoir donné la suite de Soubie à l’Elysée. » C’est d’ailleurs à l’ancien président qu’il a adressé l’un de ses premiers coups de fil. « Sarkozy a fait savoir que Castex l’avait appelé pour l’adouber et le protéger d’attaques trop virulentes de la part des Républicai­ns, poursuit ce proche de l’ancien président. Sarkozy, c’est un pragmatiqu­e : si tu fais un geste, je fais un geste. »

Sur le fond, le nouveau Premier ministre, qui se présente comme un « gaulliste social », est cependant plus proche de Xavier Bertrand. Une droite macroncomp­atible. « C’est vraiment un modéré, il n’a aucune appétence pour l’ultralibér­alisme à la sauce Sarkozy et LR. Il était aussi très éloigné des positions extrêmes sur les sujets régaliens de Sarkozy à la fin de son quinquenna­t », raconte un ancien collègue de l’Elysée. A part peut-être sur sa vision de la laïcité. « La fin de son passage à l’Elysée s’est en réalité mal passée, continue le même. Il avait une divergence assez forte avec Sarkozy qui voulait remettre sur la table la TVA sociale. Jean a vraiment été mis sur la touche à partir de janvier, il est resté au Château pour gérer les a aires courantes et n’a pas du tout été associé à la campagne présidenti­elle de 2012. » Une fin triste dont se souvient aussi son grand ami au palais, Camille Pascal : « On est partis tous les deux sous la pluie de l’Elysée le 15 mai 2012. A le voir aujourd’hui sur le perron de Matignon, il y a un côté Monte-Cristo. »

 ??  ?? Dans le jardin de Matignon, le 4 juillet.
Dans le jardin de Matignon, le 4 juillet.
 ??  ?? Jean Castex, aux côtés du préfet Didier Lallement, lors d’une visite du commissari­at de La Courneuve, le 5 juillet.
Jean Castex, aux côtés du préfet Didier Lallement, lors d’une visite du commissari­at de La Courneuve, le 5 juillet.

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