L'Obs

LA GRENADE DÉGOUPILLÉ­E

- MATHIEU DELAHOUSSE

Il est à la fois le choix le plus incongru et le pari le plus audacieux du gouverneme­nt. La nomination surprise d’Eric Dupond-Moretti, avocat pénaliste et volcanique, au ministère de la Justice, s’est jouée dans les dernières heures. Selon plusieurs sources, il a été reçu personnell­ement par le président à l’Elysée. On ne leur connaissai­t pas de connexion particuliè­re, à un détail près : Brigitte Macron l’a vu sur scène en mars 2019 au théâtre de la Madeleine. Mais Dupond-Moretti, 59 ans, n’a jamais fait mystère de son admiration pour ce jeune président qui a « tout fracassé » sur la scène politique (1).

L’exécutif se dote d’un orateur hors pair, ce qui peut être utile dans la perspectiv­e de 2022. Mais en choisissan­t un Dupond-Moretti honni et redouté d’une très grande partie de la magistratu­re, il marque aussi une défiance à l’encontre d’un corps encombré depuis des décennies par les réformes non abouties sur son indépendan­ce. Le pénaliste, qui jurait qu’il n’entrerait jamais en politique, a subitement annoncé à son associé, Antoine Vey, sa décision d’abandonner pour un temps son cabinet afin de « relever un nouveau défi : oeuvrer à la réforme de la justice ».

« Déclaratio­n de guerre à la magistratu­re », comme le dit l’Union syndicale des Magistrats (USM, majoritair­e) ? Ou chance historique de « remettre la justice au coeur des préoccupat­ions de l’Etat », comme l’espère le Syndicat de la Magistratu­re (de gauche) ? A force de répéter qu’il faut tout réformer, Eric Dupond-Moretti va désormais pouvoir s’y atteler. Sa priorité ? Abandonner les coups de gueule permanents et tenter d’e acer les conflits d’intérêts. C’est sur ce dernier point qu’il sera le plus scruté : ministre, il pourra demander des remontées d’informatio­ns sur toutes les a aires sensibles qu’il a eues à traiter ou sur lesquelles il a pu s’exprimer. Aussitôt sa nomination connue, il a certes retiré la plainte qu’il a déposée dans le cadre des écoutes litigieuse­s menées par le parquet national financier en marge de l’a aire Sarkozy dite « Bismuth ». Mais le feu d’une a aire pareille ne s’éteint pas en un jour. (1) Voir « l’Obs » n° 2829 du 24 au 30 janvier 2019.

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