L'Obs

La matonne et le mafieux

Cathy, gardienne de prison, se lie d’amitié avec un détenu, fils d’un chef de clan corse. Ils sont aujourd’hui accusés de complicité d’assassinat

- Par VIOLETTE LAZARD illustrati­on MARIE LARRIVÉ

9 Quand elle a bu son premier café avec lui, à l’unité 3 de la prison de Borgo, près de Bastia, Cathy, passionnée de polars, n’a pas été impression­née. Avec son embonpoint, ses joues rondes et presque glabres, Ange-Marie est surnommé dans le milieu « Pain au chocolat » ou « le Gros ». Il y a des blazes plus flatteurs. Mais son patronyme en impose : Michelosi. Son père était le gérant du Petit Bar, à Ajaccio, café qui a donné son nom au clan aujourd’hui le plus redouté de Corse.

Entre eux, ça a été comme une évidence. Enfin la gardienne côtoie un vrai voyou, un mafieux. Michelosi fils lui permet aussi d’être protégée dans cette prison où ce sont souvent les détenus qui surveillen­t les matons. Incarcéré pour trafic de stupéfiant­s, il a 25 ans quand ils se rencontren­t, en 2014. Il adore parler de la voyoucrati­e corse, évoque rarement la mort de son père, tué en juillet 2008, et ne s’attarde pas sur celle de sa tante, une des rares femmes tuées dans un règlement de comptes. Mais il a bien l’intention de les venger. Cathy, elle, a 38 ans. Elle arrive de région parisienne. Ses cinq enfants sont ici dans une maison, avec un jardin, et non plus entassés dans un HLM. Et puis Borgo est bien ce « Club Med de la détention » décrit par des détenus. Le boulot consiste souvent à boire des cafés entre collègues… ou avec les prisonnier­s.

Ange-Marie et Cathy parlent de tout. Elle, qui a déjà divorcé une fois de son mari

Dominique, facteur alors en congé parental, évoque ses problèmes de couple, leurs disputes, parfois violentes. Ils se sont remariés, mais leur relation ne s’est pas apaisée. Il lui arrive même de le taper. Ange-Marie Michelosi est « jeune, mais dans sa tête il est plus âgé, donc on se comprenait », se justifie-t-elle. Elle comprend vite, également, que « Tony le Boucher » et Jean-Luc Codaccioni, les deux autres gros détenus de Borgo incarcérés à l’écart d’« Ange-Ma » pour éviter les embrouille­s, sont ses ennemis. Elle se met au corse. Lui a-t-elle parlé de ses aventures avec des prisonnier­s, en région parisienne comme à Borgo ? Pas sûr. En tout cas, elle jure qu’avec « Ange-Ma », ce n’était que de l’amitié. « Il a toujours été gentil ou correct avec moi. Il me respecte. » Lui, de son côté, fréquente une jeune fille qui lui rend visite régulièrem­ent au parloir.

Que cherchait-il dans cette relation ? « Sous ses dehors rustres, son aspect éléphantes­que, Ange-Marie Michelosi est quelqu’un de très malin, qui sait immédiatem­ent identifier les failles chez l’autre », analyse un enquêteur spécialisé dans les dossiers corses. Un de ses autres surnoms est d’ailleurs « The Mentalist ». Cathy est en mal d’adrénaline, il le sent, elle a aussi besoin de reconnaiss­ance. Il commence par lui confier des petites missions. Téléphone, drogue, puces à faire entrer en prison contre rétributio­n. Il finit par bénéficier d’une libération sous contrainte à Montpellie­r, avec interdicti­on de mettre un pied sur l’île. Mais il ne perd pas le contact. Ni avec les héritiers d’un autre clan insulaire, ceux de la Brise de Mer – ensemble, ils se sont juré de venger leurs pères, tombés sous les balles, selon eux, des mêmes tueurs. Ni avec la matonne, laquelle deviendra une pièce maîtresse de leur projet funeste.

Le « clan des orphelins » – comme l’ont surnommé plus tard les policiers – entre en contact avec Cathy : elle sera leur informatri­ce pour les avertir des dates de sortie de « Tony le Boucher » et de JeanLuc Codaccioni, leurs cibles. C’est elle qui, le jour du double assassinat, le 5 décembre 2017, ira à l’aéroport embrasser Codaccioni, de retour d’une permission, pour permettre au tueur (qui n’est pas Ange-Marie Michelosi) de l’identifier. Pourquoi avoir donné ce baiser de la mort ? « Ces gens me faisaient confiance, je voulais leur montrer que j’étais à la hauteur. Lorsqu’il y a un travail à effectuer, il faut le faire jusqu’au bout », s’est-elle justifiée face aux policiers. Sur « Ange-Ma », elle n’a rien dit. « Quand

j’aime une personne, c’est à 100 %. Jamais je ne la trahirai. »

Ils sont aujourd’hui tous les deux en prison, en attente de leur procès. Depuis sa cellule du Puy-de-Dôme, Cathy se demande aujourd’hui si « Ange-Ma » lui en veut. Lui est à Luynes, près d’Aix-en-Provence ; ils n’ont pas le droit de communique­r. Depuis son arrestatio­n, il a fait valoir son droit au silence, comme les autres « orphelins ». Elle est la seule à avoir parlé aux policiers et au juge d’instructio­n. Sur PV (elle sait que les autres les liront), elle fait passer des messages. Elle ne les mettra jamais « dans la merde ». Quand les policiers lui demandent quel est son clan, elle choisit le Petit Bar, par loyauté envers Ange-Marie Michelosi. Dans sa cellule, elle continue à apprendre le corse et prévoit de se réinstalle­r sur l’île. Le procès approche, elle compte se mettre au sport, pour retrouver sa ligne et ne pas « ressembler à une moins que rien » devant les autres membres du clan.

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