L'Obs

Le bébé de la discorde

L’amitié est aussi faite de ruptures spectacula­ires et incompréhe­nsibles. La grossesse d’Emilie a été gâchée par ses voisins, qui étaient aussi ses meilleurs amis

- Par AGATHE RANC Illustrati­on ALINE BUREAU

10 Un appartemen­t se libère sur le palier d’Erwann et de Sarah et, sur le papier, l’idée est parfaite.

Paul et Emilie, couple de trentenair­es lillois, cherchent à emménager ensemble, et

Erwann est le meilleur ami de Paul depuis quinze ans. La première année, tout se passe très bien : le piège de la colocation est évité. Les deux couples partagent le réveillon, des apéros et, parfois, des jeux de société, le dimanche après-midi. Emilie et Sarah se rapprochen­t, se confient. Bref, les relations se déroulent sans encombre jusqu’au moment où… Emilie tombe enceinte. « Paul a annoncé la nouvelle à Erwann lors d’un week-end poker entre copains et, au même moment, Sarah l’a entendue de ma bouche, indirectem­ent, alors que j’en parlais au téléphone sur ma terrasse », nous a raconté Emilie, au printemps dernier. Le malaise s’installe. Suivent l’annulation d’un week-end et quelques échanges agressifs par SMS. Jusqu’à la confrontat­ion. Sarah convoque Emilie pour un café au cours duquel elle lui dit que « ça va être compliqué » pour eux. Son compagnon ne va pas supporter de la voir se « promener avec [son] gros ventre sous son nez tous les jours ». De son côté, Erwann jure à Paul que la grossesse n’est qu’un prétexte : en fait, c’est plus simple que ça, ils ne peuvent plus voir Emilie en peinture.

Dans l’immeuble, la situation devient invivable. Paul et Emilie rasent les murs et tendent l’oreille pour ne pas croiser l’autre couple. Les autres font la même chose. « Je n’osais plus aller sur ma terrasse. J’avais honte d’être enceinte, honte d’être là, honte de tout. » Erwann finit par envoyer un texto à Paul : « Ce serait bien que vous déménagiez. » Le couple se résigne. Quitte l’immeuble trois semaines avant l’accoucheme­nt. La petite fille a aujourd’hui plus d’un an, mais la rupture n’est toujours pas digérée. Emilie dit que si « la tristesse s’est tassée au moment de la naissance », ils y pensent encore presque tous les jours. « Lorsqu’on passe près de notre ancien quartier, qu’on sort prendre un verre, on se demande toujours : “Est-ce qu’on va les recroiser ?” »

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