Debussy goutte à goutte
il faut écouter la récente interprétation que le pianiste islandais Vikingur Olafsson (photo) fait de « Jardins sous la pluie », la troisième des « estampes » de Debussy, et la comparer avec celle, plus ancienne et plus canonique, de claudio arrau, pour comprendre ce qui rend le jeu d’Olafsson si tranchant et, partant, si nouveau. arrau (comme tous les pianistes qui s’intéressent à Debussy) cherche avant tout à estomper les lignes, à créer des ondées musicales fondues les unes dans les autres, pour coller au stéréotype séculaire du Debussy atmosphérique. Olafsson, à rebours de la tradition, découpe, martèle, isole la note comme si elle était seule. ce n’est pas une ondée printanière portée par le vent : c’est une pluie d’été, lourde, dont les grosses gouttes, une à une, font claquer le feuillage. sous les doigts agiles de l’islandais, on redécouvre des pièces qu’on n’écoutait plus vraiment, et l’intelligence de Debussy vole pour une fois la vedette à sa sensualité impressionniste. l’album contient également des pièces de rameau, elles aussi brutalisées, ce qui en fait à la fois une magnifique offrande et une magnifique offense au style français.