François Mitterrand, bâtisseur de mystères
Documentaire de José Fosse (2020). 1h00.
En 1981, François Mitterrand est arrivé au pouvoir avec un programme pharaonique, mais la construction d’une pyramide n’était pas prévue. Sa passion pour les grands travaux fut une surprise pour tout le monde. Ce président pétri de poésie qui s’intéressait peu à l’architecture lança presque immédiatement, sans que personne comprenne trop pourquoi, onze chantiers gigantesques, onze « grandes opérations d’architecture et d’urbanisme », chargées de redessiner la géographie parisienne – parmi les plus colossaux : la Grande Arche de la Défense, la pyramide du Louvre, la Bibliothèque nationale, le grand ministère de Bercy, l’Opéra-Bastille, la Cité de la Villette. Ce documentaire de José Fosse tente de comprendre quelle mystérieuse ambition a habité ce roi bâtisseur. On peut avancer des raisons profanes : l’envie d’imprimer son souvenir dans l’histoire et le territoire de France ou de donner une majesté à son règne. On peut aussi évoquer le projet, hautement socialiste, de rééquilibrer la géopolitique parisienne vers l’Est communard, plus populaire que l’Ouest, cette moitié versaillaise de la capitale où les monuments et ministères sont d’ordinaire érigés. Mais s’arrêter là, ce serait ignorer le mysticisme de Mitterrand et la religiosité quasiment primitive qui imprégnait son rapport à la France. Le documentaire montre Mitterrand disant : « Je me sens en communication avec les forces telluriques de ce qui fut toute l’histoire de la France. » Les « forces telluriques »… Mitterrand regardait Paris comme les druides de l’âge païen voyaient leurs mégalithes : reliés aux puissances. En manipulant le territoire, on fait bien plus qu’aménager les déplacements : on fabrique l’histoire et les croyances des hommes. Voir comment la Défense a incarné l’imaginaire franco atlantiste du capitalisme comme dernier horizon a même pu passer pour le véritable devenir de Paris, lancé sur sa pointe ouest dans la perspective du Louvre, demeure des anciens rois, et des Champs Elysées, sentier de la gloire républicaine. Mitterrand n’était pas qu’un bâtisseur : c’était un petit dieu.