L'Obs

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De bonnes ondes pour les otages

- Par SOPHIE GRASSIN et VÉRONIQUE GROUSSARD

Elle parle de son état de santé, de la prison « à ciel ouvert », des prières qui l’ont fait tenir… Frêle silhouette de 75 ans coi ée d’un voile blanc, Sophie Pétronin, tout juste libérée de quatre ans de captivité au Mali, se confie à Serge Daniel, de RFI (Radio-France-Internatio­nale). Elle le connaît sans l’avoir jamais vu : « J’écoutais RFI. » Et les mots que lui dédiait la station, demande le journalist­e, les a-t-elle reçus? « Oui, bien sûr. Tous les vendredis… Au début, une de vos collaborat­rices a dit “Si elle entend ce message, j’espère qu’il la réconforte­ra”. Alors dites-lui que oui, il m’a réconforté­e. »

Cette gratitude pour le média qui les a raccrochés à la vie, les « libérés » l’expriment tous. Sur le tarmac de l’aéroport de Bogota, Ingrid Betancourt se rue sur Herbin Hoyos, « [s]on frère d’âme », créateur de « las Voces del Secuestro » (« les Voix du Kidnapping »), cette libre antenne colombienn­e ouverte aux familles. Et à Paris, elle file embrasser les journalist­es de RFI : « Oh… Cette émission sur les poèmes japonais, c’est toi… Je reconnais ta voix! » L’exotage au Nigeria Francis Collomp, qui avait tant vibré en suivant le Tour de France, voudra, lui aussi, mettre un visage sur ces timbres familiers. « C’est à leur libération que l’on s’en rend compte : on a été utiles », dit Cécile Mégie, directrice de RFI.

“UNE SENSATION DE SÉCURITÉ”

Di cile de l’imaginer, mais dans de nombreux cas, au fin fond de la jungle, dans le désert malien, dans les cachots afghans, les ondes portent. Ingrid Betancourt évoque dans son livre « Même le silence a une fin » (Gallimard, 2010) le premier message de sa « maman » : « Sa voix veloutée, son timbre, sa chaleur, tout le plaisir charnel que j’avais eu à en retrouver l’intonation, une sensation de sécurité et de bien-être m’avait envahie. » Les ravisseurs trouvent un intérêt à fournir aux otages ce lien vers l’extérieur. Qu’il s’agisse d’en tirer une rançon, de l’échanger ou de le tuer pour semer la terreur, « un otage n’a de valeur qu’en vie,

rappelle Michel Peyrard, auteur du documentai­re “Otage(s)”. Un prisonnier dépressif, enfermé en lui-même, refusant de manger, c’est compliqué ». Les guérillero­s avaient ainsi laissé « comme palliatif » une radio à Clara Rojas qui, kidnappée avec Ingrid Betancourt par les Farc (Forces armées révolution­naires de Colombie), avait plongé dans une détresse insondable lorsqu’elle avait été privée de son bébé né en captivité (« Captive », Plon, 2009). Mais ce qu’il donne un jour, un geôlier peut le retirer le lendemain pour asseoir sa toute-puissance ou sévir.

« Voilà trois ans et deux cent quatreving­t-deux jours que Sophie Pétronin a été enlevée à Gao… » Le 2 octobre 2020, le matinalier de RFI tient ce décompte sinistre pour la dernière fois. Des mois plus tôt, la direction de la station s’était interrogée, comme le détaille Cécile Mégie : « Par quel canal la toucher? En mandingue ? En français ? Et, surtout, quel dispositif tiendra sur la distance, car le pire serait de devoir l’interrompr­e ? » La chaîne publique est soucieuse de ne pas interférer dans les négociatio­ns, de « ne pas non plus être instrument­alisée à [son] insu, avec le risque de faire monter les enchères » : « Des vies sont en jeu. On ne demande pas l’autorisati­on, on prévient le Quai-d’Orsay et la famille. Sans réaction de leur part, on y va. » Quand le nom d’un prisonnier revient sur

RFI comme un leitmotiv, « ça fait pression, c’est indéniable. On l’assume, même si ce n’est pas l’objectif », reconnaît la directrice de la station. En lisant une longue lettre écrite à son petit-fils, la mère de Clara Rojas avait pris l’opinion à témoin pour faire libérer la mère et l’enfant. Michel Peyrard, prisonnier en Afghanista­n, se souvient précisémen­t de l’instant où il a entendu son nom sortant du transistor. RFI organisait une journée de soutien, avec des interventi­ons de Gérard Depardieu, Lucie Aubrac… « Et là, j’ai été saisi de sentiments contradict­oires : la terreur (va-t-on me retirer ma radio ? Me sanctionne­r ?) et la reconnaiss­ance (on ne m’a pas tout à fait oublié). »

LA PERFUSION DES PRISONNIER­S

En 2007, à quelques jours de Noël, Lorenzo, le fils d’Ingrid Betancourt, vient enregistre­r un message en espagnol dans le studio de RFI, sous le regard d’une armada de journalist­es et de photograph­es. Depuis New York, sa soeur, Mélanie, prend le relais. Dans une lettre de douze pages, leur mère, alors séquestrée depuis plus de cinq ans, a donné ses instructio­ns, car elle capte la BBC et RFI : « Trois messages hebdomadai­res, les lundis, mercredis et vendredis, rien de transcenda­nt […], ce qu’ils auront envie d’écrire en vitesse dans le style “maman, aujourd’hui, je vais déjeuner avec Maria”, je n’ai besoin de rien de plus. » Ces petits riens du quotidien, peuplés d’enfants qui grandissen­t très vite et si loin d’eux, ce sont la perfusion des prisonnier­s. C’est une voix fluette de 8 ans, celle de Michael Holbrook Penniman Jr., qui, depuis Paris, remontait le moral de son père, un homme d’a aires détenu à l’ambassade américaine du Koweït. Mika est devenu une pop star, la bande a été égarée. Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier guettaient, eux aussi, en Afghanista­n, ces messages récoltés chaque semaine auprès de leurs proches par Cécile Mégie. Tandis que France-Inter, pour soutenir Edouard Elias et Didier François, enlevés alors qu’ils couvraient le conflit syrien, avait di usé, comme autant de bouteilles à la mer, des nouvelles égrenées par des grands-parents, une compagne, un frère… « Ici nonna, bonjour mon chéri, comment vas-tu ? Est-ce que tu es bien couvert? Est-ce que tu manges à ta faim? »; « Nous avons fêté dignement les 80 ans de ton père. Même le vieux chat Grozny attend ton retour. » Non, ce n’est pas Radio-Londres. Quoique… Selon une rumeur tenace, en Colombie, des messages en morse se cachaient dans les beats de batterie des musiques destinées aux militaires séquestrés.

INSUFFLER DE L’ÉNERGIE

Ce rôle de radio des otages, RFI ne l’a pas inventé. Elle s’est inspirée des susmention­nées « Voces del Secuestro ». Les nuits du samedi au dimanche, les familles des centaines de prisonnier­s des Farc faisaient la queue au téléphone, espérant obtenir quelques minutes de direct. Pour insu er de l’énergie à sa fille, Yolanda Pulecio, la mère d’Ingrid Betancourt, campait, en plus, à « la Carrilera », une émission di usée chaque jour à l’aube. Toujours tonifiante au micro, quitte à s’e ondrer en sortant du studio.

L’e ondrement, Oscar Tulio Lizcano l’a tutoyé. A ce moment-là, il a reçu de ses anciens étudiants cette injonction : « Courage, professeur, ne vous laissez pas mourir. » D’un coup, au fin fond de la jungle, le voilà qui arrache les pages d’un cahier, inscrit sur chacune un prénom : Beatriz, Alfonso, Carlos…, les fixe aux arbres. Ces pages figurent ses élèves, qu’il… interroge : « “Alberto, que savez-vous d’Homère? De García Marquez?” Et je me répondais à moi-même, raconte-t-il à Michel Peyrard. Donner des cours aux arbres a été fondamenta­l pour retrouver la parole. » Et rester du côté des vivants.

 ??  ?? Bamako (Mali), le 9 octobre 2020. Au lendemain de sa libération, Sophie Pétronin répond au journalist­e de RFI Serge Daniel, qu’elle écoutait en captivité.
Bamako (Mali), le 9 octobre 2020. Au lendemain de sa libération, Sophie Pétronin répond au journalist­e de RFI Serge Daniel, qu’elle écoutait en captivité.
 ??  ?? Lorenzo Delloye-Betancourt adresse un message à sa mère, Ingrid, le 4 avril 2008. RFI a régulièrem­ent ouvert son antenne aux familles des otages des Farc.
Lorenzo Delloye-Betancourt adresse un message à sa mère, Ingrid, le 4 avril 2008. RFI a régulièrem­ent ouvert son antenne aux familles des otages des Farc.
 ??  ?? Le 2 juillet 2008. Ingrid Betancourt, tout juste libérée, se jette dans les bras du journalist­e Herbin Hoyos, créateur d’une émission qui l’a réconforté­e durant six ans.
Le 2 juillet 2008. Ingrid Betancourt, tout juste libérée, se jette dans les bras du journalist­e Herbin Hoyos, créateur d’une émission qui l’a réconforté­e durant six ans.

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