L'Obs

ISLAMOMODÉ­RÉ

- Par DAVID CAVIGLIOLI D. C.

Tout«Charlie» que je suis, dans la vie de tous les jours je suis un irrécupéra­ble islamo-gauchiste. Je suis a able avec les islamistes de ma rue. Au supermarch­é, je souris aux jeunes mamans fondamenta­listes, avec un certain zèle même, pour ne pas paraître excluant, tout en m’e orçant bien entendu de ne rien mettre de sexuel dans ce sourire. Je pratique l’accommodem­ent raisonnabl­e. Si la nounou est croyante je ne mets pas de porc dans le panier-repas et j’évite de me quereller avec elle sur des questions de laïcité. Chez des gens qui ont les atours de la piété musulmane, je prends garde à ne pas froisser. J’adopte une retenue que je m’imagine islamique. Je me tiens légèrement penché en avant, dans une posture déférente. Je parle d’une voix douce, avec perpétuel sourire. J’acquiesce à tout. Cela agace ma femme, qui me dit : « Arrête de leur parler comme s’ils avaient un cancer ! » Ma femme note que, lorsque je rends visite à la partie catholique de sa famille, je n’ai pas la même prévenance. Je m’a ale dans le canapé comme un héroïnoman­e et j’engage agressivem­ent la conversati­on sur des sujets clivants : sexe, drogue, prostituti­on, GPA, pédophilie dans l’Eglise. Je tourmente sa vieille tante en lui répétant, le doigt brandi, qu’il n’existe aucune preuve de l’existence de Jésus. « Tu irais dire à Aïcha que Mahomet était un illuminé qui entendait des voix? » demande ma femme. Je me désolidari­se totalement de ces propos blessants pour des milliards de croyants à travers le monde.

Il m’est quelquefoi­s arrivé d’être traité d’islamo-gauchiste, quand ce n’est pas d’« islamo-gauchiasse », par des internaute­s en colère. Je n’aime pas l’expression, et je l’aime encore moins depuis que des ministres l’utilisent, mais je n’irais pas jusqu’à dire, comme certains islamo-gauchistes dans mon entourage, qu’elle ne désigne rien. « Les islamo-gauchistes à l’université, c’est une invention de l’extrême droite », me dit, furieux, un ami islamo-gauchiste qui enseigne à l’université. Il me rappelle ces islamophob­es qui tiennent l’islamophob­ie pour une invention de l’extrême gauche. Ou ces néoréacs qui s’énervent lorsqu’on les qualifie de néoréacs. On n’aime jamais comment nos ennemis nous nomment. C’est notre drame : on ne choisit pas son nom tout seul. Les autres ont leur mot à dire, et il est rarement gentil. Après tout je suis de gauche, et je n’ai rien contre les musulmans. Visiblemen­t ça n’est pas le cas de tout le monde. Alors « islamo-gauchiste », pourquoi pas.

Mais attention, à l’insulte n’ajoutons pas le simplisme : il n’y a pas un seul islamogauc­hisme. Il y a des islamo-gauchismes. J’appartiens au camp des islamo-gauchistes modérés. Je milite pour une islamo-gauche de gouverneme­nt, capable de confronter ses islamo-idéaux à la réalité. Une gauche islamo-réformiste qui régule l’économie de marché et combat le terrorisme. Plus qu’un islamo-gauchiste, je suis un social-islamo-démocrate. Je préfère une politique islamo-responsabl­e, soucieuse de protéger les plus fragiles, à l’islamo-démagogie qui promet le paradis sans pouvoir l’o rir, comme le font ces sheitans de La France insoumise. Car il existe deux islamo-gauches irréconcil­iables, et je reste fidèle à l’islamo-socialisme jadis porté par Abou Mauroy, ou par El Hadj al-Jospin, paix et bénédictio­n sur eux. Wa aleykoum salam, camarades.

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