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T. SINGER, PAR DAG SOLSTAD, TRADUIT DU NORVÉGIEN PAR JEAN-BAPTISTE COURSAUD, NOTABILIA, 320 P., 19 EUROS.

- DIDIER JACOB

Ecrire un roman pour en finir avec l’art du roman. Dag Solstad (photo) n’est pas le premier à avoir essayé de tordre le cou au genre majeur. Mais Solstad, qui est né en Norvège en 1941, possède sur Cervantès, Flaubert ou Robbe-Grillet au moins un avantage. Il vient du Nord. C’est un bûcheron. Un as de la cognée. Son héros en prend d’ailleurs plein la poire. Ecrivain sans oeuvre, Singer est un trentenair­e dépourvu d’ambition. Il a passé plusieurs années à tenter de peaufiner une même et unique phrase. Quand il a fini par se faire à l’idée qu’il n’y en aurait pas une seconde, il a postulé pour être bibliothéc­aire dans la pitoyable cité de Notodden, dont Solstad ne cesse de souligner le caractère lugubre et reculé. Singer est un Bartleby qui « préférerai­t ne pas » – ne pas avoir de vie sociale, ne pas avoir de vie tout court. Sera-t-il plus heureux au milieu de nulle part ? Avant de le laisser expériment­er les joies de la vie de province, Dag Solstad ne manque pas de s’acharner contre lui. Ainsi relate-t-il en détail un épisode peu glorieux de l’enfance de Singer, comme pour mieux l’acculer, comme pour l’empêcher à tout jamais de remonter la pente.

On ne sera pas surpris, en avançant dans cette monumental­e entreprise de démolition littéraire, de découvrir que Singer n’est pas le seul à dérouiller. Car Dag Solstad, dont l’auteure Sophie Divry rappelle, en introducti­on, qu’il est l’un des plus grands écrivains norvégiens contempora­ins (il a de nombreux romans, pièces et essais à son actif ), s’en prend aussi à son pays, qu’il réduit en bouillie tel Thomas Bernhard s’essuyant les pieds sur sa patrie autrichien­ne. D’ailleurs, tant qu’on y est, l’auteur de « Honte et Dignité » (paru en France aux Allusifs) dynamite aussi l’amour, cette fable, et l’absurde concept de bonheur conjugal. Ce n’est plus de la littératur­e, c’est du tir aux pigeons. Et Singer, que devient-il dans tout ça ? Il se marie, figurez-vous, avec Merete, une jeune céramiste, mère d’une petite Isabella. L’amour le fait douter, un temps, de sa capacité à bien rater son existence. Sauf que Merete meurt dans un accident de voiture et Singer doit élever, seul, sa belle-fille. Une nouvelle vie se dessine, à Oslo cette fois, mais Solstad, rassurez-vous, veille au grain. Pour Singer, il n’y a pas de salut possible. Seul l’attend, jusqu’à la fin, jusqu’au vertige, comme s’il ne pouvait manquer d’en être le héros, le navrant spectacle de sa déchéance et de sa médiocrité.

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