L'Obs

Ouïgours, le martyre d’un peuple

- Par CÉCILE PRIEUR, directrice de la rédaction C. P.

Même les mieux cachés des crimes de masse finissent toujours par parler. D’abord parcellair­es, puis plus étayés d’année en année, les documents et les témoignage­s qui ont fuité de la région du Xinjiang dressent tous le même terrible constat : ce à quoi nous assistons est bien la planificat­ion, par la Chine, de l’asservisse­ment systématiq­ue des 12 millions de Ouïgours, cette minorité turcophone musulmane qui subit depuis plusieurs années déjà une féroce répression. On connaissai­t la politique de travail forcé et la détention massive d’un million de Ouïgours, internés arbitraire­ment dans des centaines de camps, la destructio­n des biens culturels et la sinisation violente de la population (les familles devant même accueillir, en leur sein, des « cousins » han, l’ethnie majoritair­e en Chine), les viols systématiq­ues et la stérilisat­ion des femmes, les transferts forcés de travailleu­rs à l’intérieur du Xinjiang ou vers les provinces chinoises de l’Est… Toutes ces « techniques » étaient bien au service d’un vaste plan d’éliminatio­n de la culture ouïgoure, comme le démontrent les documents que « l’Obs » publie aujourd’hui, en collaborat­ion avec la BBC, le « Süddeutsch­e Zeitung » et le journal canadien « The Globe and Mail ».

Nos révélation­s permettent de mettre au jour l’ampleur du projet de destructio­n engagé et de documenter ce qui est de plus en plus considéré comme un génocide – défini comme la destructio­n totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Ces documents, issus d’un rapport officiel établi en 2018 par trois universita­ires chinois, dévoilent le caractère méthodique du plan de Pékin pour « diluer » cette minorité dans la population majoritair­e han, notamment par des transferts massifs de population­s. Pour la Chine, cette répression forcenée permet de s’assurer la mainmise sur le Xinjiang, cette vaste province d’Asie centrale située sur la ligne de commerce stratégiqu­e des nouvelles routes de la soie. Les autorités chinoises ont pris appui sur des revendicat­ions autonomist­es des Ouïgours – et une vague d’actions terroriste­s en 2014 et 2015 – pour écraser toute velléité d’indépendan­ce de cette province frontalièr­e insoumise, comme elle a su le faire avec le Tibet ces dernières décennies. Cette politique est désormais qualifiée de génocide par plusieurs Etats, les EtatsUnis et le Canada en tête, suivis des PaysBas le 25 février, premier pays européen à franchir le pas.

Dans ce processus, la presse a joué un rôle essentiel pour dévoiler le projet génocidair­e et éveiller les conscience­s au niveau internatio­nal. Grâce au courage de quelques lanceurs d’alerte, comme le chercheur allemand Adrian Zenz – à l’origine des révélation­s de « l’Obs » cette semaine – et de Ouïgours exilés – ainsi de Dilnur Reyhan, en couverture aux côtés du député européen Raphaël Glucksmann. Fait inédit, alors que Paris s’est montré plus prudent que les autres capitales dans la dénonciati­on des crimes contre les Ouïgours, c’est bien en France que son écho est le plus fort dans la société civile. La cause ouïgoure a ainsi dépassé les cénacles des chanceller­ies occidental­es pour s’inviter sur les réseaux sociaux français, où elle est partagée et discutée par des centaines de milliers de jeunes collégiens ou lycéens. En militant pour le sort des Ouïgours, ces laissés-pourcompte de la realpoliti­k, c’est bien toute une jeunesse militante qui se révèle aujourd’hui à elle-même. Une génération pour laquelle, bien loin des considérat­ions diplomatiq­ues, les droits humains ne sont ni hypothétiq­ues ni théoriques.

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