L'Obs

“MBS”, le Caligula deSSaBleS

- Par sara danIel s. d.

Il avait moins de 30 ans et il voulait changer le royaume. Il allait mettre un coup de pied dans la fourmilièr­e des ventripote­nts et des barbus qui dirigeaien­t la monarchie saoudienne à la manière d’un club pétrolier du quatrième âge. N’avait-il pas ouvert les cinémas à Riyad ? Calmé les ardeurs de la police de la vertu ? Mis les femmes au volant et au travail ? Des colloques étaient organisés à l’Unesco pour vanter son programme Vision 2030 où des femmes cheffes d’entreprise, arborant de légers voiles colorés, vantaient la nouvelle mentalité « business » qui soufflait sur le royaume grâce au fils du roi. Les plus grandes agences de communicat­ion avaient été engagées pour promouvoir cette « révolution 2.0 » chez les Saoud. MBS, les initiales du prince Mohammed Ben Salmane, étaient devenues à elles seules le slogan publicitai­re de la modernisat­ion de la région.

Mais voilà : l’homme fort de la monarchie saoudienne est un assassin. Le meurtre du journalist­e du « Washington Post » Jamal Khashoggi a éclaboussé de sang la réputation et la dishdasha blanche du prince. C’est la CIA qui le démontre désormais dans un rapport sans équivoque : « Nous basons ce constat sur le fait que le prince héritier contrôle la prise de décision dans le royaume, sur l’implicatio­n directe dans l’opération de l’un de ses conseiller­s clés et de membres de son équipe de protection, ainsi que sur le fait que le prince héritier appuie l’utilisatio­n de mesures violentes pour réduire au silence les dissidents à l’étranger, dont Khashoggi. »

La raison de cet assassinat ? Khashoggi, d’abord familier, puis opposant des Saoud, s’était rapproché des Frères musulmans turcs, ennemis irréductib­les du royaume. Alors que le journalist­e refaisait ses papiers d’identité au consulat saoudien d’Istanbul, le 2 octobre 2018, il a été mis à mort et son cadavre découpé en morceaux par les sbires de « MBS »…

Bien sûr, on savait le caractère irascible du prince. Les chefs d’Etat de la région en avaient rapporté les éclats. Dans cette dynastie « adelphique » (où l’on se succède de frère en frère), il avait écarté ses rivaux, mis au secret les princes dignitaire­s du régime dans des chambres de palace, au nom d’une prétendue opération « mains propres ». Il avait convoqué et détenu le Premier ministre du Liban, Saad Hariri, parce qu’il le jugeait trop faible vis-à-vis du Hezbollah, inféodé à l’autre ennemi du royaume, l’Iran… Egaré par son arrogance de jeune despote, que le soutien indéfectib­le du clan Trump rendait omnipotent, il a cru pouvoir exporter hors du royaume ses méthodes de parrain sicilien.

Le rapport de la CIA avait déjà fuité dans la presse américaine sous la présidence de Trump et le candidat Joe Biden avait réclamé qu’on se distancie de « MBS » et de l’Arabie saoudite : « Nous leur ferons payer le prix de ce meurtre et ferons d’eux les parias qu’ils sont. » Le président Joe Biden n’aura pourtant probableme­nt pas ce luxe. Le fils préféré du roi concentre trop de pouvoir pour que l’on puisse purement et simplement le mettre à l’écart sans prendre le risque d’une crise. Or l’alliance économique avec l’Arabie saoudite est trop précieuse.

Le Caligula des sables est d’ailleurs un entreprene­ur ambitieux, qui comprend la nécessité pour son pays de passer à une économie post-rentière. Son projet de ville futuriste « Neom » pourrait enfin propulser la région dans le xxie siècle : elle passerait de productric­e d’énergies fossiles et polluantes à un pôle postindust­riel d’énergie propre. Pourraient y être associées la haute technologi­e de la start-up nation juive et la capacité d’investisse­ment sans limites d’Abu Dhabi… On comprend pourquoi, au nom de ces impératifs diplomatiq­ues et économique­s, Joe Biden devra, quoi qu’il en dise, travailler avec l’assassin de Khashoggi…

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