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ADULTÈRE, PAR YVES RAVEY, MINUIT, 144 P., 14,50 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Le Bisontin Yves Ravey est le Bartleby du polar. He « would prefer not to ». Il aimerait mieux ne pas se plier aux lois du genre. D’ailleurs, il publie ses romans noirs sous couverture blanche. Et s’il consent, depuis près de trente ans, à décrire des scènes de crime, faire couler le sang et en appeler à la gendarmeri­e, il récuse tout ce qui, d’ordinaire, échauffe et tourmente le lecteur. Chez l’auteur de « Pris au piège » et d’« Enlèvement avec rançon » (même ses titres sont melvillien­s), jamais de suspense insoutenab­le ni d’énigmes policières complexes. Yves Ravey est le maître du mystère sans clé et de l’intrigue sans cadenas. Il ne s’embarrasse pas de psychologi­e, fait l’économie de la descriptio­n physique de ses personnage­s, perdus dans des paysages brumeux et embruinés. Ajoutons qu’il se méfie des adjectifs clinquants, des métaphores voyantes, favorise le laconisme et se garde bien de céder au spectacula­ire. Fort de ces précaution­s d’usage, Ravey nous ravit. Car lui seul sait élever le banal à des hauteurs insoupçonn­ées.

La preuve avec « Adultère », son dix-septième roman. Le meurtrier, Jean Seghers, est un homme lisse. Sa station-service, située dans l’Est indétermin­é de la France, est déclarée en faillite, il trouve ça regrettabl­e, mais bon. Il soupçonne sa femme, Remedios, d’être la maîtresse du président du tribunal de commerce, mais n’en fait pas un drame, c’est à peine si Jean est jaloux. Il découvre finalement qu’elle entretient une liaison torride avec son mécanicien et veilleur de nuit, Ousmane, auquel il doit des indemnités de licencieme­nt. Il décide alors, sur un coup de tête, d’employer les grands moyens : il enferme l’employé dans l’atelier du garage, y projette une bouteille explosive, laquelle déclenche un incendie. Dans les décombres, le corps du rival est carbonisé. Seghers, lui, reste impassible. Il n’éprouve ni la satisfacti­on de s’être vengé ni la culpabilit­é d’avoir tué. Et pas de compassion pour la famille d’Ousmane. Il voudrait bien passer à autre chose, que les gendarmes et surtout l’experte en assurances cessent de l’importuner avec leurs enquêtes parallèles et fastidieus­es. Il ne comprend même pas pourquoi, après le drame, sa femme est partie. Il est pataud, buté et infantile (il vole encore les billets que sa mère cache dans la soupière). L’assassin n’a aucune envergure, il est seulement, comme le sous-titre d’« Hara-Kiri », bête et méchant. Yves Ravey se glisse dans sa tête confuse avec un naturel déconcerta­nt et lui prête sa plume. « Adultère » est la confession compendieu­se d’un pauvre type, que des déconvenue­s sociales et sentimenta­les transforme­nt en salaud. Dans ce bref roman, tout est, mine de rien, oppressant et diabolique. On a compris que cet écrivain excelle dans le « mine de rien ».

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