L'Obs

“UN ETHNO NATIONALIS­ME CHINOIS AUX RELENTS FASCISANTS”

Le régime communiste s’est toujours méfié des minorités, jusqu’à la tragédie actuelle. Entretien avec James Millward*, historien du Xinjiang

- Propos recueillis par U. G.

La Chine prétend que le Xinjiang lui a toujours appartenu…

Il y a eu des garnisons de l’empire des Han (202 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.) postées dans cette région, de façon irrégulièr­e. Et de nouveau sous les Tang au e siècle. Et puis, pendant mille ans, plus rien. Jusqu’au

e siècle, où les Mandchous (cousins des Mongols), maîtres de la Chine depuis un siècle, conquièren­t le Xinjiang, le Tibet et unifient l’empire. Prétendre aujourd’hui qu’un territoire vous appartient parce que vous y avez « régné » il y a deux mille ans, c’est lamentable. Comme si l’Italie disait à l’Angleterre : ces terres sont à moi, l’Empire romain y a régné il y a deux mille ans ! Et comment Pékin peut-il imaginer qu’un tel argument justifie les atrocités qu’il commet au Xinjiang ?

Les Mandchous ont conquis le Xinjiang au XVIIIe siècle. Comment traitaient-ils les population­s locales?

C’étaient des conquérant­s : ils laissaient les élites locales gérer leurs territoire­s. L’Empire mandchou, dans l’ensemble, a protégé le berceau ouïgour, le Xinjiang du Sud, contre l’a ux de colons han, pour éviter les conflits. Le contraire de ce que les communiste­s ont fait.

Mao a pris le pouvoir en 1949. Il se disait anti-impérialis­te, ami des ethnies minoritair­es. C’était une ruse?

Au début, il était sincère. Mais la Chine, comme la Russie, a eu ce même problème : un parti anticoloni­al héritait d’un empire multiethni­que, multirelig­ieux, multilingu­istique. Les communiste­s ont attribué des territoire­s aux peuples minoritair­es, assortis d’une « autonomie » – limitée certes à la culture, aux arts, à la religion, etc. Mais c’était bien préférable à l’ethno-nationalis­me chinois qui se dresse aujourd’hui avec ses relents racialiste­s, fascisants.

Pourquoi ça n’a pas marché finalement, entre le Parti et les ethnies minoritair­es?

Certains diraient : la faute au terrorisme. Mais des attentats, il y en a eu en réalité très peu. Il y a eu en revanche beaucoup de protestati­ons, parfois violentes – comme dans les régions chinoises, au fond. Mais quand des Han se révoltent contre les abus des pouvoirs locaux, le régime appelle ça un « incident de masse » (il y en a 200 000 chaque année) et fait tout pour calmer les esprits. Quand ce sont des Ouïgours ou des Tibétains, le régime appelle ça extrémisme, séparatism­e, terrorisme. Une paranoïa qui entraîne une répression disproport­ionnée. Et de nouvelles injustices. Un cercle vicieux.

La tragédie actuelle des Ouïgours, c’est la faute de Xi Jinping?

Oui, c’est lui qui a opté pour la manière forte. Il a encore moins de tolérance pour la diversité culturelle que ses prédécesse­urs. Et il croit que l’endoctrine­ment brutal permet de changer les esprits… Une idée qui lui vient de Mao mâtiné de Confucius, qu’il sera obligé d’abandonner. Elle provoque déjà un retour de bâton : le monde discute pour savoir s’il commet un génocide ou seulement des crimes contre l’humanité… C’est très triste pour les Ouïgours, et pour la Chine aussi.

(*) Professeur à l’Université de Georgetown à Washington.

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