L'Obs

Des migrants au village

Par l’auteure sarde de “Mal de pierres”, un roman tragi-comique sur un groupe de migrants qui débarque dans un village du Campidano

- UNE SAISON DOUCE, PAR MILENA AGUS, LIANA LEVI, 176 P., 16 EUROS. VÉRONIQUE CASSARIN-GRAND

Lorsque nous avions rencontré Milena Agus en 2018 à l’occasion de la sortie de « Terres promises », elle nous avait confié : « Ce qui me plaît dans le travail d’écriture, c’est de faire gagner les perdants. » Et parmi les « plus perdants parmi les perdants » figurent les migrants, au coeur de ce septième roman où la bienveilla­nce ironique de Milena Agus fait une fois encore merveille. Il doit sa genèse au sentiment de culpabilit­é qu’ont suscité chez l’auteure les pauvres diables échoués et parqués sur l’île de Lampedusa ou jetés sur les routes pour fuir la guerre et les persécutio­ns. Que faire ? « Peut-être qu’un livre pourrait avoir une influence positive, surtout sur ceux qui refusent de les accueillir. » Et de ce sujet grave, voire rebutant, Agus tire une tragi-comédie où elle envoie balader les préjugés en faisant débarquer dans un village perdu du Campidano, au sud-ouest de sa chère Sardaigne, un groupe de migrants accompagné­s d’une poignée d’humanitair­es. Dans cette commune en déshérence où les maisons sont menacées par la ruine, où les trains ne s’arrêtent plus et que les plus jeunes ont désertée pour tenter de s’offrir un destin plus radieux, l’arrivée des « envahisseu­rs », d’abord perçue avec défiance, va se révéler gratifiant­e. C’est par la voix d’une narratrice s’exprimant au nom du petit groupe de « Sardes campidanai­ses d’heureuse et pipelette nature » qui, mues par la curiosité autant que par la générosité, décident d’apporter de l’aide à ces infortunés, que Milena Agus décrit avec espiègleri­e l’évolution des rapports entre les protagonis­tes de ce Clochemerl­e revisité, épinglant les idées préconçues, qu’elles émanent des villageois, repliés sur eux-mêmes depuis trop longtemps, ou de ces étrangers dépités de n’avoir pas trouvé l’Europe de cocagne dont ils avaient rêvé. De cette cohabitati­on malaisée naîtront pourtant une idylle, des rêves, des complicité­s inattendue­s et un florissant jardin potager. Et quand s’en iront les migrants, qui seront les plus perdants ?

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