NOSTALGIE DU CONFINEMENT
Pour le reste de ma vie je crois, lorsque je penserai au printemps, je penserai au confinement de mars 2020, dont j’ai gardé un souvenir ébloui. Je penserai à la douceur de Paris quand les rues sont désertes, aux promenades pour aller nulle part, aux longues journées sans urgence à regarder, par la fenêtre, les arbres refleurir. Ce dimanche long de deux mois, passé à faire la lessive et la cuisine, est certainement la chose la plus invraisemblable que j’aie vécue. Je ne savais pas, avant, que quelque chose pouvait être à la fois si banal et si nouveau.
Parfois ce grand vide me manque. J’aimais vivre dans une ville fantôme, sur une planète fantôme. J’aimais voir à la télévision des images de Shanghai sans personne et de New York avec rien dedans. Partout, tout le monde s’enfermait. L’humanité, pour la première fois, formait une communauté, alors que les humains avaient comme disparu. J’étais heureux comme un collégien lorsque les cours sont annulés. Comme un salarié quand le réseau informatique a planté. Soudain nous n’avions plus rien à faire. La parenthèse s’est trop vite refermée. Le monde est redevenu le capharnaüm qu’il a toujours été. La seule di érence est qu’il n’y a plus de restaurants. Le monde d’après, s’avère-t-il, est identique à celui d’avant, sauf qu’il est plus di cile d’y déjeuner.
Il y a quelques semaines, lorsque les journaux ont annoncé l’imminence d’un reconfinement, une part de moi rêvait de revivre cette Pâque miraculeuse. J’espérais qu’à nouveau nos rendez-vous soient annulés. Que nos vies soient mises au chômage partiel, aux frais de l’Etat. Que nos enfants nous soient rendus. Un jeudi soir, Jean Castex donnait une conférence de presse, que je regardai en priant pour qu’il vide la France une nouvelle fois. Mais il ne l’a pas fait. Il a fermé les centres commerciaux de plus de 10000 mètres carrés dans 23 départements. Des printemps comme le dernier, il n’y en aura plus. On devrait le commémorer. L’inscrire au registre des célébrations nationales. Décréter, tous les 17 mars, pour l’anniversaire, une journée pour rien, une journée enfermée. Ce 17 mars, secrètement peut-être, je fêterai le confinement.
L’autre soir, je confiai cette étrange nostalgie à ma femme, dont la réponse me troubla. Elle me dit : « Tu te fous de ma gueule ? » Elle avait un souvenir tout à fait di érent de ce premier confinement. Selon elle, je n’avais pas du tout l’humeur printanière que je me prête rétrospectivement. Loin d’être ce Nicodème posté à la fenêtre pour sourire aux hirondelles, j’étais d’une humeur massacrante. Barbu, sale, saoul dès midi. Une sorte de nihiliste russe, en pyjama. A table, je gardais mes lunettes de soleil et je fumais en expliquant à ma fille de 3 ans que « la vie est une farce macabre ». Je comptais les morts. Les yeux vides devant mon téléphone, je fixais des graphiques catastrophiques et des courbes exponentielles. Chaque semaine, j’étais certain d’avoir contracté la maladie. Je m’alarmais au premier toussotement. Si le thermomètre me donnait une température normale, je l’accusais d’être un mauvais thermomètre. Couché comme un mourant, un lange humide sur le front, j’obligeais ma femme à appeler le Samu, qui jugeait inutile de m’hospitaliser en urgence après avoir établi que je n’avais rien, ce qui me faisait hurler que l’administration française était au mieux incompétente, au pire criminelle. On fabrique de la nostalgie avec tout.