L’Observatrice
Hommage aux tenues portées par la communauté mexicaine de Californie, ce baggy revisité par le créateur Willy Chavarria évoque aussi bien les créations de Yohji Yamamoto que les “zoot suits” des Afro-Américains. Preuve que la mode est un langage universel
En mode, s’il y a tant de scandales d’appropriation culturelle, ce n’est pas (contrairement à ce que l’on croit) au prétexte qu’aujourd’hui plus rien ne pourrait circuler par capillarité d’un groupe à un autre. D’ailleurs, c’est faire o ense aux communautés concernées que de les réduire à une susceptibilité nerveuse. En réalité, ce que demandent ceux dont un élément flagrant de la culture est « cité », c’est que cela soit dit. Voire que cela permette, dans certains cas, de sortir de l’invisibilité ceux qui ont tant apporté à la mode. Les réprouvés qui, par le vêtement, entendaient récupérer la superbe de leur identité.
Tout récemment, le designer américain Willy Chavarria (collection automnehiver 2021), a proposé 25 looks, dont la plupart incorporent un large pantalon, quasi bulle à force d’être baggy. Outre la coupe impeccable du pantalon (et sa beauté), ce qui est passionnant, c’est la pluie de références que ce vêtement évoque. On pourrait notamment penser, en le voyant, qu’il est tout bonnement inspiré d’un bas de jogging qui ne serait plus en molleton, mélangé à un pantalon de judo, croisé avec un baggy de rappeur. Mais, en voyant les choses ainsi, on prend l’histoire à rebrousse-poil. Car derrière ce pantalon large, que Willy Chavarria propose avec constance de collection en collection depuis 2015, se cache une bonne occasion de mourir moins ignorant.
Willy Chavarria est américain d’origine mexicaine. Il a été élevé dans le milieu des cueilleurs de salades, en Californie. Les vêtements étaient sacrés dans son milieu, car il fallait absolument qu’ils durent longtemps. Dans les années 1990, une fois de temps en temps (rarement), il allait au Kmart, achetait à 12 dollars un chino de Dickies qu’il traitait « comme un Givenchy », vu qu’il fallait que ça dure. Mais en achetant ce chino, Willy, comme toutes les personnes de sa communauté, le choisissait « oversized ». Pour que ce soit vraiment cool, il le portait avec une ceinture qui, en froissant la taille, lui inventait les luxueux plis manquants.
Car la dégaine que Willy cherchait à retrouver, c’est celle des « cholos », des « pachucos » (termes peu amènes, à l’origine), bref, de ces personnes d’origines principalement mexicaines et qui avaient fait fierté de ces dénominations péjoratives. Ces « cholos » et « pachucos » adoraient les pantalons amples, extraamples. C’était aussi leur façon d’adouber les « zoot suits », ces pantalons à taille haute et à multiples pinces portés par les Noirs de Harlem dès les années 1930 et qui réussirent l’exploit de faire scandale pendant la Seconde Guerre mondiale : on les accusa d’utiliser trop de tissu.
Mais quand Willy Chavarria crée sa propre version de pantalon baggy, il sait qu’entre-temps Yohji Yamamoto est passé par là. Lui, le Japonais féru de subcultures, sait qu’en fouillant au Mexique, on trouve des pantalons de paysan qui rappellent ceux que la mode a inventés. Et le vêtement qu’il imagine obsessionnellement, tout en rendant hommage au Mexique, est un hymne à l’universalité. ■