L'Obs

Elle est smart, ma city

Comment auront évolué nos villes dans trente ans ? A travers le monde, des expérience­s préfiguren­t la cité connectée, écologique et inclusive de demain

- Par CLAIRE AUBÉ

C’est un objet du quotidien qui représente déjà la ville de demain : le lampadaire. A première vue, la perspectiv­e peut manquer de glamour, et pourtant… Cet élément de notre vie ordinaire est en pleine mutation. A Dijon, déjà, ce sont près de 34000 points lumineux qui vont être rénovés pour basculer en LED et qui pourront être pilotés en fonction des usages : plus puissants à la sortie d’un match de foot, éteints près des zones de biodiversi­té, par exemple. L’objectif de la ville ? « Mettre l’efficacité technologi­que au service d’une justice sociale, durable et écologique », souligne Denis Hameau, conseiller de Dijon Métropole chargé du projet de smart city baptisé « OnDijon ». Gestion à distance de tous les équipement­s urbains depuis un poste de pilotage central, applicatio­ns au service des habitants et des touristes, nouveaux outils numériques : ce renouvelle­ment technologi­que devrait conduire à réaliser plus de 65 % d’économies d’énergie.

Les expérience­s se multiplien­t pour mettre au point les villes du futur. Il s’agit de faire rimer technologi­e et écologie pour faciliter la vie des citoyens. C’est la promesse de la ville connectée. Les applicatio­ns techno foisonnent, et parfois même on pourrait se croire en 2049. En

Australie, les compteurs d’eau connectés visent à mettre fin aux problèmes récurrents de fuites et de pénuries. Aux EtatsUnis, à Louisville, dans le Kentucky, des habitants sou rant d’asthme ont accepté d’utiliser des inhalateur­s connectés indiquant, entre autres, leur localisati­on. « Grâce à la géolocalis­ation, des mesures pour diminuer la pollution dans les zones concernées ont été prises, et la santé des utilisateu­rs a été significat­ivement améliorée », raconte Hatem Oueslati, cofondateu­r de IoTerop, une start-up spécialisé­e dans la sécurisati­on des objets connectés. En France, Grenoble se distingue à l’avantgarde des villes les plus accessible­s pour les personnes en situation de handicap grâce à des dispositif­s numériques sophistiqu­és. Sur le site internet de son o ce de tourisme, la métropole iséroise propose un générateur d’itinéraire­s pour les personnes à mobilité réduite.

« Le réseau 5G, qui permet justement le fonctionne­ment d’objets connectés, a déclenché des investisse­ments massifs par les collectivi­tés et l’Etat, en généralisa­nt du même coup les possibilit­és d’usages », précise Hatem Oueslati. Espaces verts agrandis, protection de la biodiversi­té, promotion de l’économie circulaire, multiplica­tion de bâtiments à énergie positive : les mégapoles du monde entier, de Londres à Singapour en passant par Copenhague, se sont pour la plupart lancées dans la course aux labels écolos. Il leur faut relever le défi des projets de villes nouvelles, aux dimensions parfois pharaoniqu­es, comme Masdar aux Emirats arabes unis, conçues sur une feuille blanche et qui se bâtissent en intégrant l’objectif « zéro carbone ».

Intelligen­ce numérique et développem­ent durable, les deux concepts urbains sont désormais indissocia­bles. Même si, bien sûr, chaque ville conserve sa spécificit­é. « Les municipali­tés mettent l’accent sur des aspects di érents : certaines privilégie­nt l’environnem­ent, d’autres l’optimisati­on des services aux usagers et l’e-administra­tion ou encore les transports et le pilotage des équipement­s urbains », constate Michel Guieysse, associé du cabinet de conseil en organisati­on Magellan Partners.

Précisons toutefois que la transition n’est pas aisée. D’abord parce que les résultats en matière d’économies d’énergie ne sont pas toujours immédiatem­ent au rendez-vous. « Poser des capteurs pour réaliser des économies d’énergie coûte cher et nécessite des matériaux rares, ce qui n’est pas forcément toujours bon pour la planète », remarque Maxime Schirrer, maître de conférence­s au Laboratoir­e interdisci­plinaire de Recherches en Sciences de l’Action (Lirsa) du Cnam. Mais c’est surtout au sujet du respect des libertés individuel­les que les responsabl­es des projets de smart cities sont le plus souvent interpellé­s.

La ville connectée ne risque-t-elle pas de renseigner Big Brother ? Pour mesurer le danger, revenons à notre lampadaire. Ce banal élément du mobilier urbain pourrait facilement devenir un moyen de surveillan­ce. Alerte en cas de bruits inhabituel­s, reconnaiss­ance faciale, vidéosurve­illance… autant de fonctions qui font déjà débat. A Toronto, par exemple, le projet de transforma­tion d’un quartier en espace 100 % connecté, développé par Google, a été abandonné. En partie pour des raisons économique­s, mais aussi à cause d’une levée de boucliers contre la collecte de données privées. « Sur tous ces sujets, nous travaillon­s avec la Cnil [Commission nationale de l’Informatiq­ue et des Libertés, NDLR], explique le Dijonnais Denis Hameau. L’objectif est que les informatio­ns récoltées par les nouveaux outils ou équipement­s deviennent des ressources utiles au débat démocratiq­ue, c’est tout l’enjeu de la démocratie augmentée. »

A ce stade, c’est aussi la question de l’accessibil­ité des smart cities au plus grand nombre qui reste entière. « J’attends que l’on me montre des villes connectées où vivent des pauvres ! » résume Maxime Schirrer du Cnam. En e et, les recensemen­ts urbains sont implacable­s : les quartiers connectés ou les villes nouvelles expériment­ales, dans les deux cas, sont généraleme­nt habités par des population­s aisées et des communauté­s à hauts revenus. Pour que les progrès technologi­ques et écologique­s soient partagés par tous, la smart city va devoir faire assaut d’intelligen­ce. ■

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