L'Obs

Cahier 65

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Puis en chemin de fer. /Le bruit du train, je m’assoupis, et. Alors ma grand-mère mes paupières scellèrent mes yeux et mes regards retournés ne virent plus qu’en moi, dans ce monde intérieur (aux organes etc voir l’autre page). Alors ma grand-mère m’apparut. Elle ne Je ne l’avais pas encore revue depuis qu’elle était morte, et elle était sur la voie , en toilette de voyage, son chape elle elle marchait vite, elle courait presque, car on entendait le sifflet des trains qui partaient, elle se dépêchait, elle avait sali sa robe, presque perdu une bottine et son chapeau était tout de travers et elle avait une éclaboussu­re de boue jusque sur son voile, elle était rouge, et elle avait si mauvaise mine que le cerne de ses yeux descendait presque jusqu’à sa bouche. Ses yeux étaient indiciblem­ent tristes mais d’une tristesse farouche comme furieuse et rancunière. Peut-être avait était-elle fâchée comme elle l’était quelquefoi­s <, pour si peu de temps, elle l’était> contre moi, et plutôt pour me pour me donner une leçon que par colère véritable ; peut-être était était avait-elle aper avant de mourir, compris tout d’un coup mon à ce moment où la vie nous quittant on

s’attache davantage à elle, où les plus désintéres­sés pensent un instant à leur corps que le sentant se dérober sous eux ils voudraient retenir, peut-être au moment de mourir avait-elle vu tout d’un coup la duperie de sa vie de dévouement, de sacrifice aux autres, peut-être avaitelle mon immense égoïsme cessant brusquemen­t de lui être caché par les sophismes de son coeur aimant lui était-il apparu tout d’un coup, et les fatigues prises pour moi que peut-être je n’aurais pas prises pour elle [,] qui avaient marqué une vie, et était-ce cela, ce reproche sans pardon qu’elle me , ce par pardon possible, ce jugement rendu avec ressentime­nt avec équité qu’elle me jetait — dans ce regard qui me traversait vraiment car il éta son oeil même à elle était en moi — à celui qui lui avait le plus [fait] de mal, parce que c’est celui qu’elle avait le plus aimé, à celui qui avait causé sa mort, parce qu’il avait été sa vie. Je sentais que je ne la profondeur de son reproche, le la rancune de son chagrin, tandis qu’elle s’essoufflai­t sans vouloir me regarder, se tachant de boue, fatiguant son ventre et ses jambes vers la station. Un immense de désir [sic] de la rattraper, de l’embrasser, de me faire pardonner me soulevait, mais au moment où je passai près d’elle elle détourna la tête, farouche, rouge d’essoufflem­ent et de fatigue, implacable, irréconcil­iable, et soudain je ne pus plus avancer, le déjà un employé lui faisait signe que le train allait partir, elle allait plus vite, je sentais sa fatigue, qu’elle se faisait mal, que son coeur pouvait s’arrêter de battre. Toutes les angoisses que j’avais pu avoir dans ma vie à quitter Maman [,] à sentir le soir revenir, à partir en voyage, évoquées par la mémoire du rêve, sans que l’intelligen­ce pût les séparer vinrent grossir celle-là. Toute ma vie fut un cri [,] pouvoir la rejoindre, l’avoir près de moi comme autrefois. Je Je ne pus faire un mouvement, elle le train partait elle monta dans les marches d’un wagon, trébucha à demi, un employé brutalemen­t la poussa comme un paquet dans le wagon et referma sur elle la portière, le train s’éloigna et je sentais qu’elle partait pour des pays que je ne connaissai­s pas et d’où elle où je ne pourrais pas aller la retrouver et d’où je sentais [qu’] elle partait était partie < sans pensée de rentrer idée de intention de revenir> pour toujours !

© Gallimard, 2021

 ??  ?? La mère de l’écrivain, Mme Adrien Proust née Jeanne Weil. Portrait de Paul Nadar (1904).
La mère de l’écrivain, Mme Adrien Proust née Jeanne Weil. Portrait de Paul Nadar (1904).
 ??  ?? Dans la maison de la tante Léonie (son portrait au mur) à Illiers-Combray, en Eure-et-Loir.
Dans la maison de la tante Léonie (son portrait au mur) à Illiers-Combray, en Eure-et-Loir.

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