Jours tranquilles à L. A.
EVE À HOLLYWOOD, PAR EVE BABITZ, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR JAKUTA ALIKAVAZOVIC, SEUIL, 336 P., 22,50 EUROS.
La première fois qu’elle a entendu quelqu’un se plaindre de la vie à Los Angeles, Eve Babitz a pensé qu’elle avait affaire à un fou furieux car « comment y croire, franchement – avec tous ces citronniers et ces fleurs, partout ». Une observation qui pourrait aussi bien s’appliquer à la jeunesse d’Eve Babitz, au doux parfum de nonchalance et de fleur d’oranger. Née en 1943, Eve est devenue instantanément célèbre en posant nue alors qu’elle faisait semblant de jouer aux échecs avec Marcel Duchamp. Une photographie qui ferait scandale aujourd’hui, mais Eve en était apparemment satisfaite. Dans « Eve à Hollywood », elle semble d’ailleurs éprouver un contentement permanent, qui confère au récit une sorte de fadeur. L’inconsistance n’est-elle pas, en Californie, la chose du monde la mieux partagée ? Eve Babitz ne broie jamais du noir car, en plus d’être belle, elle adore la beauté. Resplendir, quand on ressemble (selon l’intéressée) à Brigitte Bardot, est pour elle davantage qu’un don du ciel – une occupation à plein temps : « Comment se fait-il, se demande-t-elle, que je ne sois pas devenue une musicienne accomplie au lieu d’une blonde, les pieds dans l’eau, sur la plage? » Il est vrai que la musique coulait dans ses veines, son père étant violoniste pour le compte de la 20th Century Fox. Dans ces charmantes chroniques d’une jeunesse à Los Angeles, l’auteure de « Sex & Rage » n’est d’ailleurs jamais aussi amusante que lorsqu’elle évoque Stravinski, dont elle était la filleule. « Il était tout petit, joyeux et génial, et il buvait. Il me glissait des verres de scotch sous la table basse quand ma mère avait le dos tourné; j’avais treize ans. » Elle était amoureuse de Marlon Brando (période « Viva Zapata ! ») et de Tony Curtis, et elle avait fait du Château Marmont son quartier général. Elle se droguait par insouciance plus que par nécessité, et trouva le moyen d’expliquer à Bobby Kennedy, alors qu’elle témoignait devant une commission sénatoriale sur le LSD: « Tous les gens que je connais fument de la marijuana, sauf ma grand-mère. » A part ça, elle écrivait. Son talent, indéniable, ne s’est jamais converti en génie, car il aurait fallu se donner un mal fou pour y parvenir, et ce dont Eve raffolait, c’était juste de foncer sur la plage pour y passer la journée. Si l’ambiance Malibu vous tente, ces pétillants récits ne vous décevront pas. A condition de ne pas laisser trop longtemps la bouteille ouverte, car vous savez ce qu’il advient du gaz.