Gide au pays des Soviets
EN URSS AVEC GIDE, PAR CÉCILE VARGAFTIG, ARTHAUD, 272 P., 19,90 EUROS.
Fin 1936, André Gide a connu « son plus grand succès de librairie » avec un petit livre vendu à 150 000 exemplaires. Ça n’a pas plu à tout le monde. La presse communiste, tout à sa lutte pour une humanité digne de ce nom, a bastonné ce « puritain aux idées libertines », cette « charogne politique et littéraire », cet être « abject ». (Le journalisme n’était pas soumis à la dictature du politiquement correct comme de nos jours.) Le petit livre s’appelait « Retour de l’URSS ». L’auteur de « Paludes » y racontait, non sans esprit critique, le voyage qu’il avait fait l’été précédent avec une poignée d’écrivains au pays du camarade Staline.
Quatre-vingt-cinq ans plus tard, Cécile Vargaftig le reconstitue à son tour, ce voyage mythique qui a fait couler tant d’encre, d’insultes et probablement de larmes puisqu’il s’est terminé par la mort tragique d’Eugène Dabit, à 36 ans et 2 400 kilomètres de chez lui. Son récit fourmille de détails sur les micropéripéties d’une odyssée sous surveillance. On y trouve même des jugements parfois bien péremptoires sur les compagnons de Gide (l’excellent Louis Guilloux est très injustement maltraité). Mais tant pis. Ou tant mieux. « En URSS avec Gide » n’est pas la reconstitution d’une historienne appliquée. C’est un « journal » résolument subjectif, plein de réflexions passionnantes sur la vérité en littérature et la radicalité en politique. Plein, surtout, de souvenirs très personnels sur le poète communiste Bernard Vargaftig (1934-2012). Cécile Vargaftig (photo), née en 1965, est sa fille. Dans des pages poignantes, elle dit ici tout ce qu’elle lui doit comme tout ce qui les a séparés, quand elle a voulu assumer son homosexualité, son intérêt pour l’individualisme, et sa passion pour des livres autobiographiques comme ceux de Gide, qui affirmait que « toute littérature est en grand péril dès que l’écrivain se voit tenu d’obéir à un mot d’ordre ».