Vaccins La PME française qui va plus vite que Sanofi
Le sérum anti-Covid de la société Valneva entre dans sa dernière phase d’essais cliniques. Une technologie née grâce au groupe Grimaud, une entreprise familiale du Maine-et-Loire spécialiste… de la génétique des canards
Si tout se passe bien, nos premiers lots de vaccins anti-Covid seront commercialisés en GrandeBretagne au dernier trimestre 2021. » Notre interlocuteur ne veut pas fanfaronner, mais il a le sourire. Un « big boss » de l’industrie pharmaceutique ? Non, Frédéric Grimaud est le patron du groupe Grimaud, une entreprise familiale du Maine-et-Loire, spécialisée dans la sélection génétique des poules et des canards. Mais cet homme de 57 ans – silhouette longiligne, visage émacié, barbe poivre et sel – est aussi l’actionnaire de référence et le président du conseil de surveillance de Valneva, la société de Saint-Herblain (Loire-Atlantique) qu’il a cofondée il y a neuf ans. Prenant de vitesse le géant tricolore Sanofi, cette petite biotech a annoncé le 6 avril que son vaccin anti-Covid entamerait ce mois-ci ses essais cliniques de phase 3, menés sur plusieurs milliers de personnes. Un événement qui fait les gros titres de la presse britannique – puisque c’est le Royaume-Uni qui a misé sur Valneva – et révèle, en creux, la timidité de l’Union européenne.
Mais que diable ces volatiles du pays choletais viennent-ils faire dans la lutte contre la pandémie ? Le lien entre ces activités, c’est la foi dans l’innovation d’un patron atypique, d’un héritier qui a diversifié son groupe familial dans la biopharmacie et ce qu’il appelle le « Novel Farming » : des services numériques pour un élevage de précision à la viande de culture sans animaux, en passant par la sélection génétique de crevettes et de mouches, sources des protéines animales du futur.
“LA FERME ÉTAIT À 50 MÈTRES”
Aujourd’hui, le groupe Grimaud emploie 1 850 personnes dans 50 pays et réalise quelque 330 millions d’euros de chi re d’a aires, à 75% à l’international. Sa pépite Valneva – dont il possède 15,1 % et qui vaut plus de 1 milliard d’euros en Bourse – vient de déposer une demande de cotation aux Etats-Unis. Que de chemin parcouru depuis l’exploitation agricole du grand-père ! « La ferme familiale était située à 50 mètres d’ici », raconte Frédéric Grimaud au siège de son groupe à Sèvremoine (Maine-et-Loire). Une exploitation d’une trentaine d’hectares, sur laquelle le patriarche a élevé ses sept enfants. « Dans les années 1960, après avoir épousé ma mère, institutrice, mon père
Joseph a dû créer avec son frère sa propre activité, poursuit Frédéric Grimaud. Comme les moines de l’abbaye voisine de Bellefontaine produisaient déjà quelques canetons mais en manquaient régulièrement, les frères Grimaud se lancèrent dans la reproduction et l’accouvage de canards. »
Dans les années 1970, Joseph Grimaud va voir l’Institut national de la Recherche agronomique (Inra) et démarre l’un des tout premiers programmes de sélection génétique sur les palmipèdes. Une activité qu’il étend ensuite aux poules, aux lapins, puis aux porcs. De génération en génération, les animaux sont sélectionnés sur une palanquée de critères : croissance, indice de conversion alimentaire, robustesse, productivité… Au fil des années, le métier devient de plus en plus technologique : scanners 3D des animaux vivants, suivi par capteurs, contrôle de la performance, analyse des données, développement d’algorithmes, soutien technique aux clients.
Après des études de sport à l’université de Poitiers, Frédéric crée sa propre activité d’accompagnement des entreprises dans le domaine du management et de la qualité. Puis, à la fin des années 1980, sur la demande insistante de son père, il accepte d’intégrer le groupe familial, dont il prendra finalement la présidence en 2000. « A la fin des années 1990, les biotechnologies commençaient vraiment à décoller, se souvient-il. Nos chercheurs, associés à ceux de l’Inra et de l’Ecole normale supérieure de Lyon, avaient réussi à extraire des cellules souches embryonnaires d’oeufs de poule et de cane, et à les multiplier dans des bioréacteurs [de grandes cuves en inox à l’intérieur desquelles le milieu est contrôlé, NDLR]. »
A l’époque, le groupe pensait utiliser ce savoir-faire en génétique, mais c’est en biopharmacie que ces lignées cellulaires aviaires se sont avérées utiles. En e et, la plupart des vaccins antiviraux (par exemple contre la grippe) sont produits en utilisant des oeufs de poules fécondées fraîchement pondus. Injecté dans ces milliers d’oeufs « embryonnés », le virus se multiplie, puis il est extrait, inactivé et sert de matière première pour la fabrication du vaccin. Du coup, le groupe Giraud fait le tour des sociétés de vaccin pour leur proposer d’utiliser sa propre « soupe » de cellules : un environnement selon elle plus contrôlé, plus sûr, plus productif.
“LE DROIT À L’ERREUR”
Cette diversification pharmaceutique incarne bien le mode de fonctionnement d’une entreprise qui explore sans cesse de nouvelles frontières: « La culture de l’innovation ne se décrète pas, il faut la favoriser, l’organiser, dit Frédéric Grimaud. On essaie de faire preuve d’agilité à la fois sur un plan managérial, technologique et financier. » Mettant à profit son expérience passée de consultant, le boss
organise un management par le décloisonnement, la délégation de responsabilités, le droit à l’expérimentation. « C’est un processus vivant: on enlève les barrières, on laisse les portes ouvertes, on organise la transparence de l’information… Cela crée un état d’esprit plus libre : on promeut aussi le droit à l’erreur. » Le patron, un ex-mauvais élève qui a sou ert à l’école, insiste sur l’importance de mettre en valeur les réussites.
Créée en 1999, la filiale Vivalis est confiée à Franck Grimaud. « Nos pères sont cousins, mais Franck est surtout un copain de fac et un professionnel compétent, passé par un MBA au Canada. » Vivalis commence alors à « licencier » sa plateforme de biopharmacie à des fabricants de vaccins et entre en Bourse en 2007 pour financer son développement. Une prise de risque calculée: « On a conservé notre bon sens paysan, explique Frédéric Grimaud. Nos métiers de base demandent des investissements importants et on ne dépense pas l’argent qu’on n’a pas. »
La grippe aviaire de 2006 n’ayant pas tourné en pandémie, le potentiel commercial de Vivalis s’avère alors limité: « L’industrie du vaccin n’a pas basculé autant qu’on l’espérait sur notre technologie », dit l’entrepreneur. Notamment parce que cela supposait de demander de nouvelles AMM (autorisations de mise sur le marché) pour les vaccins. Coïncidence : à partir de 2010, l’un de ses clients, l’autrichien Intercell, plonge en Bourse suite à l’échec du développement d’un de ses vaccins. Le quatuor des dirigeants des deux sociétés – Alexander von Gabain, Thomas Lingelbach, Frédéric et Franck Grimaud – décide alors un mariage de raison audacieux entre leurs PME à la peine : « Valneva est née en 2012 de la fusion-acquisition d’Intercell dans Vivalis. Avec notre technologie et leurs projets de médicaments, on pouvait construire un ensemble prometteur », résume Frédéric.
“PAS DE POLITIQUE”
La société de droit européen, qui cible les besoins non couverts des voyageurs en vaccins et traitements, a mis sur le marché un vaccin contre l’encéphalite japonaise (notamment acheté par l’armée américaine) et un médicament anti-tourista (Dukoral). Son pipeline de développement compte aussi un vaccin contre la maladie de Lyme (transmise par les tiques) développé en partenariat avec l’américain Pfizer et des vaccins contre des maladies tropicales : le chikungunya et zika. Le grand saut se produit au premier trimestre 2020. Comme la pandémie freine ses ventes, Valneva essaie d’adapter sa plateforme vaccinale contre l’encéphalite japonaise au Covid-19. D’où le projet VLA200 : une technologie classique à base de virus inactivés boostée par adjuvants. Evidemment, une telle aventure nécessite le soutien des Etats et l’épisode résume tous les handicaps dont sou re le continent.
Le gouvernement britannique, contacté parce que l’usine principale du groupe (héritée d’Intercell) se trouve en Ecosse, réagit au quart de tour : dès septembre 2020, il passe des précommandes sur 190 millions de doses, dont 60 millions ferme, livrables en 2021. Il accepte aussi d’investir dans l’usine de Livingstone. Soit un accord d’une valeur maximale de 1,4 milliard d’euros. Les autorités françaises, elles, renvoient la start-up vers la Commission européenne, seule habilitée à signer des contrats au nom des Etats membres. Les discussions sont toujours en cours avec Bruxelles pour la livraison éventuelle de 60 millions de doses…
La présidente LR de la région Pays-dela-Loire, Christelle Morançais, a accusé le gouvernement français de ne pas soutenir la biotech de Saint-Herblain. Frédéric Grimaud, lui, ne fait « pas de politique. On reste prudents, modestes et concentrés sur notre objectif », confiait-il mi-avril. Il est vrai qu’il n’a pas de temps à perdre. Il lui faut aussi appuyer les autres défis de son groupe : l’extension de l’activité sélection génétique aux nouveaux fournisseurs de protéines animales, comme les crevettes avec sa division Blue Genetics, ou les mouches black soldier avec Fly Genetics, créée avec le bulgare Nasekomo.
Sans oublier le projet, via sa filiale Vital Meat, de « cultiver » de la viande de poulet en bioréacteur, toujours à partir des lignées cellulaires aviaires de Valneva. Une diversification qui ne plaira sans doute pas à tous ses clients : « Il est vrai que les professionnels de l’élevage ne sont pas acquis à la cause de la viande de culture, reconnaît-il. Pourtant, il est absurde d’opposer les deux : elle ne remplacera jamais la production traditionnelle ; elle viendra en complément. » Et puisqu’il est persuadé de son potentiel, autant la produire en France plutôt que l’importer des Etats-Unis ou d’Israël.
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