“Il faut aérer le système !”
Pourquoi vous, major de l’ENA et ex-membre du corps de l’Inspection des Finances, êtes-vous favorable à la transformation de cette institution ?
Il est urgent de réformer le recrutement des élites. Et Emmanuel Macron le fait de la bonne manière : il ne s’attaque pas à l’élitisme, dont on ne dira jamais assez combien il est utile à notre pays ; il s’attaque à la rente, c’est-à-dire à un entre-soi devenu vraiment problématique. Quand j’étais étudiant à l’ENA, il s’y trouvait encore des gens qui avaient bénéficié de l’ascenseur social : le grand-père était paysan, le père, instituteur, le fils, énarque. Je ne suis pas un chaud partisan de Bourdieu, mais je reconnais que, depuis vingt ou trente ans, ce qu’il appelle le « capital culturel » n’a fait que se concentrer entre des mains de moins en moins nombreuses. Alors oui, il faut aérer le système !
Certains qualifient ces propositions de populistes. Elles feraient des hauts fonctionnaires des boucs émissaires…
Le discours que Macron a prononcé devant les 600 hauts fonctionnaires [pour annoncer la transformation de l’ENA, NDLR] n’a pas craché sur la fonction publique, bien au contraire. En la modernisant, il dit chercher à maintenir son rôle dans la société. Pourquoi un haut fonctionnaire devrait forcément passer toute sa carrière dans la sphère publique ? Instaurer, à la place de l’emploi à vie, des contrats longue durée me semble une bonne chose. Il faudrait également casser le monopole que l’ENA détient dans la constitution des grands corps. Un diplômé d’une grande université américaine ou un cadre du privé pourraient en être aussi.
Considérez-vous que la haute administration a été à la hauteur dans sa gestion du Covid ?
Cette crise a, malheureusement, reflété le classement à la sortie de l’ENA : Bercy, qui accueille les mieux classés, a fait preuve d’une réactivité incontestable ; le ministère de la Santé, qui accueille les moins bons, n’a pas montré de grandes performances…
La réforme ne supprime ni le classement à la sortie ni les grands corps (Inspection des Finances, Conseil d’Etat… ). N’est-ce pas dommage ?
Elle prévoit tout de même d’imposer aux diplômés d’exercer sur le terrain [possiblement cinq ou six ans, NDLR], que ce soit en préfectorale ou dans un rectorat, avant d’intégrer l’un des grands corps. C’est une bonne chose qui permettra peut-être de distinguer que les meilleurs sont aussi ceux qui font leurs preuves sur le terrain. J’ai fait mon stage à la préfecture du Mans, et cela reste l’un des moments les plus merveilleux de mon existence : c’est vraiment là qu’on approche le pays tel qu’il est. Il faut du terrain, du terrain…