Le défi des puissances révisionnistes
aquoi ressemblera le monde dans deux ou cinq ans ? Serat-il divisé en blocs antagonistes, dont l’équilibre sera dicté par des rapports de force sans cesse testés ? Ou aurons-nous trouvé un nouvel équilibre, un compromis autour d’une nouvelle gouvernance mondiale respectueuse du droit ? C’est la question que se posent les dirigeants du monde entier, alors que l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, la polarisation croissante entre grandes puissances et, dans une certaine mesure, la pandémie et ses conséquences provoquent une accélération de phénomènes en gestation depuis plusieurs années. A défaut de pouvoir répondre à cette question, chacun se prépare au pire en espérant qu’il n’advienne pas.
En privé, diplomates et responsables font le constat d’un monde redevenu « brutal ». Il n’a certes jamais cessé de l’être, y compris dans les années aujourd’hui idéalisées de l’aprèsguerre froide, qui n’étaient pas vraiment des années « tendres » (Yougoslavie, Rwanda, terrorisme…). La grande différence, pourtant, entre ces pulsions violentes et la tentation « révisionniste » actuelle, c’est que deux des principales puissances mondiales sont à l’initiative des coups de butoir donnés sur l’ordre international existant.
La Chine et la Russie, puisque c’est d’elles qu’il s’agit, sont engagées simultanément et, de plus en plus ouvertement, ensemble, dans une tentative de redéfinition de l’ordre international hérité de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est pas illégitime de vouloir remettre en question un agencement influencé et dominé par les puissances occidentales, façonné à l’époque coloniale, et qui a montré à bien des égards qu’il était dépassé. Mais ça l’est moins de vouloir le remplacer par le retour en force de l’autoritarisme, la négation des droits des peuples et des individus. Car derrière la contestation partagée par beaucoup d’une hégémonie américaine se cache la remise en question des acquis de décennies de construction, brique après brique, d’un ordre dans lequel la loi du plus fort n’est pas forcément la meilleure. Les Etats-Unis euxmêmes ont d’ailleurs contribué à fragiliser cet édifice en agissant régulièrement en prédateurs, comme ceux qu’ils dénoncent.
Les crises actuelles, qu’il s’agisse des tensions sino-américaines ou avec la Russie de Poutine, ne sont que les signes les plus visibles d’une confrontation larvée entre les deux mondes. A leur niveau, d’autres puissances régionales, comme la Turquie ou l’Iran, ne veulent pas rater cette occasion historique de retrouver des marges de manoeuvre.
L’arrivée de Joe Biden a cristallisé cette crise après la « disruption » de l’ère Trump. Pékin et Moscou sont aujourd’hui convaincus que la puissance américaine est en déclin. Le numéro un chinois, Xi Jinping, est persuadé que l’heure de la Chine est (re)venue ; il n’entend plus se laisser dicter quoi que ce soit par une Amérique qu’il ne respecte plus. Et la force combinée de la Chine et de la Russie donne à leur défi un potentiel jamais vu depuis l’URSS.
Cette nouvelle donne place l’Europe dans une position inconfortable à laquelle elle n’était pas réellement préparée malgré un début de « réveil ». L’Union européenne est poussée par la radicalisation des clivages, son histoire et ses valeurs à se rapprocher des Etats-Unis, redevenus fréquentables ; mais elle aspire parallèlement à ne pas être cantonnée au rôle de sous-traitant d’un « leadership » américain renouvelé. Etre alliés sans être alignés va devenir de plus en plus difficile si la « brutalité » du monde se confirme : c’est la question clé des prochaines années.