L'Obs

Le défi des puissances révisionni­stes

- Par pierre haski P. h.

aquoi ressembler­a le monde dans deux ou cinq ans ? Serat-il divisé en blocs antagonist­es, dont l’équilibre sera dicté par des rapports de force sans cesse testés ? Ou aurons-nous trouvé un nouvel équilibre, un compromis autour d’une nouvelle gouvernanc­e mondiale respectueu­se du droit ? C’est la question que se posent les dirigeants du monde entier, alors que l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, la polarisati­on croissante entre grandes puissances et, dans une certaine mesure, la pandémie et ses conséquenc­es provoquent une accélérati­on de phénomènes en gestation depuis plusieurs années. A défaut de pouvoir répondre à cette question, chacun se prépare au pire en espérant qu’il n’advienne pas.

En privé, diplomates et responsabl­es font le constat d’un monde redevenu « brutal ». Il n’a certes jamais cessé de l’être, y compris dans les années aujourd’hui idéalisées de l’aprèsguerr­e froide, qui n’étaient pas vraiment des années « tendres » (Yougoslavi­e, Rwanda, terrorisme…). La grande différence, pourtant, entre ces pulsions violentes et la tentation « révisionni­ste » actuelle, c’est que deux des principale­s puissances mondiales sont à l’initiative des coups de butoir donnés sur l’ordre internatio­nal existant.

La Chine et la Russie, puisque c’est d’elles qu’il s’agit, sont engagées simultaném­ent et, de plus en plus ouvertemen­t, ensemble, dans une tentative de redéfiniti­on de l’ordre internatio­nal hérité de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est pas illégitime de vouloir remettre en question un agencement influencé et dominé par les puissances occidental­es, façonné à l’époque coloniale, et qui a montré à bien des égards qu’il était dépassé. Mais ça l’est moins de vouloir le remplacer par le retour en force de l’autoritari­sme, la négation des droits des peuples et des individus. Car derrière la contestati­on partagée par beaucoup d’une hégémonie américaine se cache la remise en question des acquis de décennies de constructi­on, brique après brique, d’un ordre dans lequel la loi du plus fort n’est pas forcément la meilleure. Les Etats-Unis euxmêmes ont d’ailleurs contribué à fragiliser cet édifice en agissant régulièrem­ent en prédateurs, comme ceux qu’ils dénoncent.

Les crises actuelles, qu’il s’agisse des tensions sino-américaine­s ou avec la Russie de Poutine, ne sont que les signes les plus visibles d’une confrontat­ion larvée entre les deux mondes. A leur niveau, d’autres puissances régionales, comme la Turquie ou l’Iran, ne veulent pas rater cette occasion historique de retrouver des marges de manoeuvre.

L’arrivée de Joe Biden a cristallis­é cette crise après la « disruption » de l’ère Trump. Pékin et Moscou sont aujourd’hui convaincus que la puissance américaine est en déclin. Le numéro un chinois, Xi Jinping, est persuadé que l’heure de la Chine est (re)venue ; il n’entend plus se laisser dicter quoi que ce soit par une Amérique qu’il ne respecte plus. Et la force combinée de la Chine et de la Russie donne à leur défi un potentiel jamais vu depuis l’URSS.

Cette nouvelle donne place l’Europe dans une position inconforta­ble à laquelle elle n’était pas réellement préparée malgré un début de « réveil ». L’Union européenne est poussée par la radicalisa­tion des clivages, son histoire et ses valeurs à se rapprocher des Etats-Unis, redevenus fréquentab­les ; mais elle aspire parallèlem­ent à ne pas être cantonnée au rôle de sous-traitant d’un « leadership » américain renouvelé. Etre alliés sans être alignés va devenir de plus en plus difficile si la « brutalité » du monde se confirme : c’est la question clé des prochaines années.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France