RETOUR SUR LA “BIDENMANIA”
Personne ne regrettera Donald Trump, un roi fou sorti de « Game of Thrones », annonçant un hiver perpétuel. Biden est tout l’inverse: il est décent, empathique, il écoute ses conseillers, veut restaurer la coopération internationale en matière de lutte contre le réchauffement climatique et d’harmonisation de la fiscalité. Il fait entendre un discours ferme sur les droits de l’homme face aux Chinois ou à Poutine, là où son prédécesseur ne semblait à l’aise qu’en compagnie des autocrates du monde entier. Biden est l’anti-Trump, mais cela ne l’empêche pas de retenir quelques leçons de ce dernier.
Dans le domaine international, il prolonge la confrontation engagée par son prédécesseur avec Pékin. La rhétorique antichinoise de Trump résonnait fort auprès des ouvriers éreintés par la concurrence avec la Chine. Leur demande protectionniste a été entendue par Biden. Il veut renforcer, comme Trump, les dispositions du « Buy American Act », institué en 1933 par Roosevelt, qui oblige les marchés publics à privilégier les fournisseurs américains. Sur le plan intérieur, Biden rompt avec Trump en faisant l’éloge des dépenses publiques alors que ce dernier n’appréciait que les baisses d’impôt, mais il a bien noté que la popularité de ce dernier a beaucoup tenu à son usage prolixe de l’argent public. Biden a retenu la leçon : l’austérité budgétaire ne passera pas par lui, les déficits ne lui font pas peur.
Le nouveau président se démarque en fait tout autant de son prédécesseur républicain que des démocrates qui l’ont précédé, Obama et Clinton, beaucoup plus modérés sur le plan intérieur ou international. C’est bien à Roosevelt qu’il voudrait ressembler. Il a accroché un portrait massif de celui-ci dans le bureau Ovale et fait constamment référence au New Deal. Biden pourrait-il être le « nouveau Roosevelt » (voir « l’Obs » N° 2947 du 22 avril) ? Son plan comporte deux volets. Un plan de relance pour 2021 et un plan de reconstruction pour le moyen terme. La plus grosse part va au court terme. En incluant les dépenses déjà votées en décembre dernier, le stimulus est porté à 2 800 milliards de dollars, soit 13 % du PIB américain. Le plan d’investissement s’élève à 2 000 milliards, mais sera dépensé sur huit ans… Biden est, pour l’instant, surtout keynésien. Il croit aux déficits publics pour relancer l’économie. Roosevelt lui-même était plus conservateur. Il partageait la phobie des déficits de ses prédécesseurs, mais c’est ce qui explique aussi pourquoi il n’a pas hésité à porter le taux d’imposition des plus riches à 90 %. Biden a encore du chemin à parcourir sur ce terrain : la hausse d’impôts pour financer son plan d’investissement est très modérée. Mais peut-être n’est-ce qu’un début : à peine a-t-il fait voter les 2 000 milliards pour les infrastructures qu’il remet sur la table un nouveau projet à 1 000 milliards, financé par un impôt exceptionnel sur les revenus supérieurs à 1 million de dollars.
Roosevelt voulait sortir du marasme économique par des dépenses publiques et des réformes structurelles, levant les freins à la syndicalisation en promulguant le Wagner Act, ou en régulant la finance grâce au Glass-Steagall Act. Biden est encore à la peine en ces domaines. Il n’a pu empêcher Amazon de dissuader ses employés de créer un syndicat et a dû renoncer à augmenter le salaire minimum. Avec le recul de l’Histoire, on comprend mieux que les années 1930 furent une anomalie, une période au cours de laquelle une crise financière mal gérée a brisé l’essor d’une société industrielle dont la force deviendra manifeste après-guerre. On ne sait pas encore si la révolution numérique a le même potentiel, ni comment la rendre favorable à l’emploi et aux salaires. C’est sur sa capacité à provoquer l’émergence d’un nouveau modèle de croissance que l’Histoire jugera Biden, tout comme elle sera sévère si les objectifs affichés en matière d’émission de carbone n’étaient pas tenus. Au regard de ces défis immenses, le désir mimétique de Biden pour Roosevelt doit être pris au sérieux, il signifie qu’il comprend parfaitement bien les enjeux de son mandat.