Turquie : l’amérique siffle la fin de la récréation
Enfin ! Grâce à sa déclaration officielle du 24 avril, jour de commémoration de l’holocauste arménien, Joe Biden devient le premier président américain à reconnaître la réalité du génocide. Barack Obama, qui s’était engagé à le faire pendant sa campagne, y avait renoncé après son élection pour ne pas irriter son allié turc au sein de l’Otan. Une trentaine de pays dont la France, l’Allemagne et la Russie avaient pourtant déjà reconnu que les massacres perpétrés par les Ottomans pendant la Première Guerre mondiale relevaient d’une volonté délibérée et d’un processus d’élimination systématique. On estime en effet que 2 millions de Grecs, d’Assyriens et d’Arméniens ont été déportés et 1,5 million tué. Ce génocide avait commencé, lors du « dimanche rouge », par la rafle des intellectuels de Constantinople: c’était le 24 avril 1915.
Ce geste fort du nouveau président, qui engage définitivement l’Amérique, confirme que Joe Biden entend faire du respect des droits de l’homme et des enjeux mémoriels un axe important de sa présidence. Peut-être est-on moins soumis à la dictature de la realpolitik lorsque l’on n’a qu’un seul mandat devant soi… Mais ce geste est surtout le signe que les Etats-Unis n’entendent plus ménager leur prétendu allié. Le « permis de régner » dans la région que lui avait délivré Donald Trump, en le laissant en particulier envahir le Kurdistan syrien, est ainsi symboliquement révoqué. Bref, le radicalisme et l’antioccidentalisme dont le néo-sultan a fait son miel ne passeront plus. Et la Turquie devra sans doute calmer ses ardeurs avant de montrer ses muscles dans la région, et temporiser la théâtralité de la résurrection de son Empire ottoman.
Bien sûr, Ankara a protesté : « Nous rejetons complètement cette déclaration qui est fondée uniquement sur le populisme », a twitté Mevlüt Cavusoglu, le ministre turc des Affaires étrangères. Même le maire d’Istanbul, l’opposant Ekrem Imamoglu, a dénoncé « une grave erreur » de Washington, tandis que le président turc vilipendait de son côté « la politisation de la question par des tiers ». Cependant, Recep Tayyip Erdogan, dictateur pragmatique s’il en est, a déjà montré qu’il a bien compris les avertissements de Joe Biden. L’économie turque, très affaiblie, ne peut se permettre d’être sanctionnée par le Trésor américain.
Ainsi, alors que les deux « démocratures » turque et russe avaient réussi à consolider un partenariat anti-occidental, consacré par la livraison russe de missiles sol-air S-400 à l’armée turque, Erdogan vient de lâcher son allié de circonstance, pour les beaux yeux des Américains. Il a reçu à Istanbul le pire ennemi de Poutine: le président ukrainien Zelensky; et il a accepté de lui vendre ses drones Bayraktar, ceux-là même qui viennent de donner un avantage décisif à l’armée azérie contre les Arméniens dans le Haut-Karabagh et qui ont permis de neutraliser les milices Wagner en Libye. Erdogan a aussi dénoncé l’occupation de la Crimée par la Russie (se souvenant qu’elle fut une province ottomane pendant trois siècles sous le nom de khanat de Crimée). Une façon de promouvoir la performance de ses armes tout en amorçant un geste de bonne volonté, voire de réconciliation, avec l’Otan qui doit inscrire la question russe en tête de l’agenda de son sommet de juin…