Helen Macdonald et les faucons
Naturaliste et romancière, la Britannique HELEN MACDONALD publie un magnifique recueil d’essais sur son amour des OISEAUX. Rencontre
VOLS AU CRÉPUSCULE, par Helen Macdonald, traduit de l’anglais par Sarah Gurcel, Gallimard, 352 p., 23 euros.
Helen Macdonald revient de loin. D’une enfance dominée par l’incompréhension, la colère et la perte. Seule échappatoire : les arbres où elle grimpait, les animaux qu’elle observait, les champs où elle traquait toutes les formes de vie, qu’elle rapatriait dans une chambre qu’elle avait transformée en cabinet de curiosités. Quand son père meurt prématurément, elle s’enferme dans son chagrin avec un faucon pour compagnon (elle a raconté cette expérience dans « M pour Mabel »). Aujourd’hui, la romancière fauconnière a fait la paix avec elle-même. Elle voyage aux quatre coins du monde pour observer la vie naturelle, et raconte ces expéditions dans de formidables récits qu’elle a rassemblés dans un recueil qui est à la fois une ode à la vie sauvage et un requiem pour une nature assassinée. « Le monde a perdu la moitié de sa faune et de sa flore de mon vivant », dit-elle.
D’où vient votre fascination pour les oiseaux ?
Elle a toujours été présente. Même quand j’étais très petite, je me souviens que je m’endormais en rêvant que j’étais en train de voler. Les oiseaux faisaient partie de l’écosystème de mon cerveau. Je crois que ça vient de ce que j’ai perdu un frère jumeau peu après ma naissance. J’ai grandi avec cette impression que quelque chose manquait, qu’une part de moi s’était envolée. Mais si, petite, je me suis intéressée aux
BIO EXPRESS
Née en 1970 dans le Surrey, en Angleterre, HELEN MACDONALD a étudié les sciences de la nature à Cambridge. Elle a publié trois romans, dont
« M pour Mabel », prix du meilleur livre étranger en 2016.
Elle est aussi illustratrice et historienne.
oiseaux, c’est aussi qu’ils sont très visibles, très familiers. Pour une enfant qui cherchait à s’inventer une autre existence, les oiseaux étaient la cible parfaite. Ils sont souvent spectaculaires, et ils voyagent sans cesse et se moquent des frontières.
Quand votre père est décédé, vous avez vécu avec un faucon. Quelle leçon avezvous tirée de cette expérience ?
Disons que j’ai aujourd’hui l’impression d’avoir e ectué un voyage dans l’autre monde après avoir perdu mon père, et l’oiseau a été cet esprit qui m’a accompagnée dans ces ténèbres et qui a fait avec moi le voyage du retour. Je me suis identifiée si fort à ce faucon. Il était tout ce que je voulais être. Féroce, sauvage, puissant, brutal. Et je suis vraiment devenue folle. J’ai perdu de vue la dimension humaine de ce processus de deuil. Mais j’ai aussi pu mieux comprendre ce que sont réellement les faucons, au-delà de la vision culturelle que nous avons d’eux. Un faucon n’est qu’un poulet avec des serres, il n’est pas di érent des autres oiseaux. En tout cas, le contact avec cette intelligence non humaine m’a permis de m’ancrer plus étroitement dans mon humanité à moi.
Comment vos deux activités, l’écriture et l’étude de la vie naturelle, cohabitent-elles ensemble ?
La joie que je tire de la relation avec le monde naturel vient de ce qu’elle se déroule en grande partie dans le moment présent, lorsque j’observe des oiseaux ou me promène dans la campagne. Alors que la littérature et l’écriture sont des activités historiées. Vous écrivez toujours sur les traces d’autres personnes. C’est une sorte d’immersion dans le textuel. Donc réunir ces deux temporalités est à la fois enrichissant et complémentaire. Quand j’étais petite, je voulais être biologiste. Mais j’étais nulle en mathématiques, alors j’ai lu des livres à la place. Avec ce livre, je peux enfin recoller ces deux aspects de ma personnalité, et c’est très gratifiant.
Quel a été le plus beau moment dans votre carrière d’observatrice de la vie sauvage ?
Il y a ce moment que je raconte dans le livre, et où j’ai observé, du haut de l’Empire State Building, le vol des oiseaux migrateurs au-dessus de New York. Cette expérience m’a fait soudain réaliser qu’une rivière de vie, invisible, coule au-dessus de nos têtes. C’était une expérience presque religieuse qui a changé ma perception des villes, lesquelles entretiennent des relations plus complexes qu’on ne le croit avec le monde naturel.
Vous expliquez, dans le livre, que la vie sauvage s’est énormément appauvrie en quelques décennies. Pouvez-vous imaginer à quoi pouvait ressembler la traversée d’une prairie ou d’un sousbois en Angleterre il y a deux siècles ?
La vitesse de ce déclin est terrifiante. J’ai cinquante ans et, au cours de ma vie, nous avons perdu 400 millions d’oiseaux en Europe. C’est catastrophique. Si nous revenions deux siècles en arrière, ce qui nous frapperait, je pense, ce serait la plénitude. Il y aurait tellement plus de vie autour de nous, comme on l’observe dans les endroits encore très riches en biodiversité. Se sentir entourée de créatures sauvages, entendre le rugissement des insectes dans l’air, voir les guêpes, les papillons et des volées inimaginables de moineaux et de mouettes. Leur perte est une catastrophe non seulement à cause de la disparition de ces créatures, mais parce que nous perdons des modèles pour nous penser nousmêmes. Si nous n’avons pas de contact avec toutes ces créatures autour de nous, nous ne pouvons pas savoir qui nous sommes.
Pourriez-vous conseiller à un public jeune deux livres susceptibles de leur transmettre cet amour que vous portez à la vie sauvage ?
D’abord, je conseillerais le magnifique « Almanach d’un comté des sables » d’Aldo Leopold, un des fondateurs de l’écologie. Je suggérerais également « The Home Place », de J. Drew Lanham, un ornithologue noir américain (non traduit en français). C’est un livre profond et lyrique sur la race, sur l’histoire naturelle, sur le fait d’être chez soi dans un pays, un livre merveilleux.
Pouvez-vous imaginer à quoi ressemblera le monde dans cinquante ans ?
Il est très di cile de ne pas penser à l’apocalypse à ce stade. Nous sommes vraiment dans une très, très mauvaise passe. Par ici, dans l’Est-Anglie où j’habite, je pense qu’il y aura beaucoup plus d’eau car le niveau des sols est très bas. Autrefois, c’était une zone marécageuse. Et je ne serais pas surprise que certaines parties des Pays-Bas soient entièrement recouvertes d’eau, avec les conséquences sociales qu’on imagine. La grande question est comment rester optimiste dans ces circonstances. Et je pense toujours à l’écrivaine Rebecca Solnit, pour qui l’espoir est une nécessité car si vous êtes désespéré, vous ne faites rien. Et si vous êtes trop optimiste, vous ne faites rien non plus, parce que vous pensez que tout va bien se passer. On doit travailler dur pour ouvrir un espace d’incertitude sur ce que l’avenir nous réserve. Et c’est dans cet espace que l’on doit se montrer militant. J’espère que mon livre ouvrira un petit espace d’espoir. Je pense qu’il est très important que nous nous accrochions encore fermement à cela.
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