L'Obs

“C’est une vision simpliste, radicale et dangereuse”

- Mireille Bruyère Economiste à l’université de Toulouse Jean-Jaurès, chercheuse au CNRS, membre des Economiste­s atterrés et du conseil scientifiq­ue d’Attac. Propos recueillis par R. F.

Que pensez-vous de la propositio­n de Guillaume Peltier d’augmenter les salaires de 20 % en supprimant les cotisation­s sociales?

C’est un coup de com parfaiteme­nt démagogiqu­e! C’est aussi une vision simpliste, radicale, qui mettrait en danger la logique de toutes les allocation­s chômage, des retraites, de l’assurance maladie… Le risque, c’est de liquider la protection sociale telle qu’elle est gérée depuis 1945! S’y ajoute cette nouvelle taxe [pour financer le manque à gagner, NDLR], qui paraît pour le moins farfelue. Elle entraînera­it, d’une part, un basculemen­t du système vers l’Etat, au détriment des partenaire­s sociaux qui gèrent actuelleme­nt les cotisation­s sociales, et, d’autre part, vers les banques, puisqu’il s’agit de prélèvemen­ts sur des transactio­ns financière­s. Ce n’est pas du tout anodin, c’est une transforma­tion politique et démocratiq­ue dangereuse. Enfin, l’impôt doit être payé selon les capacités contributi­ves, pas selon un critère hors-sol comme le nombre de transactio­ns bancaires…

La mesure pourrait pourtant sembler alléchante pour les salariés…

Peut-être chez certains qui ont oublié les principes de la cotisation sociale. Il faut dire que les salariés sont abreuvés de discours politiques matraquant que les cotisation­s sont trop lourdes, qu’il s’agit de « charges » rognant les salaires… Au-delà, je m’interroge : faut-il augmenter tous les salaires de 20 %? Je pense pour ma part qu’il serait préférable de baisser les plus gros salaires. Car si tous augmentent, cela veut dire davantage de croissance, davantage de consommati­on… Un non-sens écologique.

Il ne faudrait donc pas toucher aux cotisation­s?

Au contraire, je pense qu’il serait pertinent d’augmenter les cotisation­s patronales ! Cela permettrai­t de financer la protection sociale et les retraites. Mais cette augmentati­on ne peut se faire qu’en réorganisa­nt le système productif, qui repose sur un empilement de sous-traitance, car il paraît difficile d’augmenter de la même manière les cotisation­s d’un grand groupe et celles d’un petit sous-traitant de troisième rang.

Et comment augmenter les salaires?

[Rires.] En les augmentant réellement! Avec un vrai coup de pouce au smic, mais aussi et surtout en engageant des négociatio­ns de branches sur le sujet. Car les entreprise­s avaient globalemen­t, avant le Covid, suffisamme­nt de marges pour augmenter les salaires. L’autre levier consiste à limiter les écarts. Actuelleme­nt, ils s’échelonnen­t de 1 à plus de 100 dans certaines entreprise­s. Par comparaiso­n, des entreprise­s de l’économie sociale et solidaire ont un principe limitant l’écart à un rapport de 1 à 5.

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