CETTE PRATIQUE VOUS FAIT SOURIRE ? ELLE POURRAIT S’IMPOSER À NOUS PLUS TÔT QU’ON NE LE CROIT.
« Aéroport LuxembourgFindel ». Seul aéroport du Luxembourg, le « Findel » accueille quelque 3,6 millions de passagers chaque année.
française. « C’est parce que je vis seule dans une passoire thermique et que j’ai une voiture immense. » Les autres, encore jeunes ou déjà très écolos, sont en dessous. Au fur et à mesure de l’atelier, les participants choisissent différentes actions (renoncer à l’avion, manger moins de viande, etc.), et l’on assiste à la – trop – lente descente des courbes.
Ce qui ressemble à un simple jeu écolo préfigure notre avenir. Alors qu’un Français moyen émet aujourd’hui environ 10 tonnes d’équivalent carbone par an (éq. CO2), il faudrait qu’il soit à seulement 2 tonnes en 2050 pour respecter les engagements pris lors de la signature de l’Accord de Paris en 2015 et contenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2 °C. Afin d’atteindre in fine la neutralité carbone, la France est censée, en 2050, ne pas émettre davantage de gaz à effet de serre que ce qu’elle est en capacité d’absorber grâce aux « puits de carbone » (forêts, océans, filtres artificiels, etc.). Comme Julien, Mélanie, Sophie, Céline, Lisa, de nombreux Français se sont mis, ces dernières années, à calculer leur « poids climatique » grâce à des outils de plus en plus perfectionnés et accessibles (il suffit de taper « calculateur carbone » sur internet pour se voir offrir une tripotée de ces outils fondés sur les bases de données de l’Ademe, l’Agence de la Transition écologique). Et ils sont des milliers à avoir, comme eux, modifié leurs habitudes pour essayer, enfin, d’infléchir cette courbe des émissions de CO2 qu’il faudrait voir chuter à pic. Cette pratique vous fait doucement sourire ? Elle pourrait pourtant s’imposer à nous plus tôt qu’on ne le croit, au vu de la dramatique trajectoire climatique qui se dessine. Olivier, animateur de l’atelier et chef de projet informatique, glisse qu’il n’a encore jamais vu un groupe atteindre l’objectif de 2 tonnes en 2050, quelle que soit la radicalité des mesures prises pendant la simulation… Cela ne veut pas dire que c’est impossible, mais que le défi qui est face à nous est d’une ampleur inédite. Et que l’on ne pourra pas échapper à des transformations majeures de nos modes de vie.
Par où commencer ? Alors que, trop souvent, les chiffres sont un peu confus dans les têtes, les accros à l’exercice aiment réciter les fameux « ordres de grandeur ». Eux le savent bien : toutes les actions ne se valent pas. « On nous parle beaucoup du tri sélectif et du zéro déchet. Bien sûr, c’est important, en particulier pour la pollution des océans, qui sont des puits de carbone, mais l’impact sur la réduction des émissions reste relativement faible », note Lan Anh Vu Hong, auteur de « Cent Gestes pour réduire son empreinte carbone » (FYP, 2021). Lors de l’atelier auquel nous assistons, le gros des questions porte sur cette jolie prosonomasie : « la viande et l’avion ». Deux gigantesques postes d’émissions (un kilo de viande rouge représente environ 35 kg de CO2, et un aller-retour Paris-New York, 2 tonnes d’éq. CO2, soit l’intégralité de votre budget carbone de 2050 !), qui sont parmi les sujets les plus clivants. « Je me souviens d’un participant qui a refusé de soustraire l’avion à son bilan carbone jusqu’à la fin de la partie, parce qu’il savait ne pas pouvoir renoncer à ses vacances à l’autre bout du monde », se rappelle Lan Anh Vu Hong. Après avoir travaillé dans le marketing, cette trentenaire qui vit dans les HautesAlpes intervient auprès d’entreprises pour animer des projets de transformation écologique, en particulier sur les enjeux de l’éducation aux défis environnementaux.
Chez certains, la comptabilité carbone peut devenir un réflexe quotidien et entraîner un vrai changement de vie. « J’ai tout passé au crible. J’ai arrêté l’avion et la viande presque du jour au lendemain. Je compte bientôt me rendre à Istanbul, je vais le faire en train, même si le trajet peut prendre jusqu’à deux jours », raconte Thomas Wagner. Ce trentenaire parisien vient de quitter un poste dans la finance pour affiner son blog consacré aux questions climatiques (bonpote.com). Certains de ses amis travaillent encore dans la banque et n’hésitent pas à prendre l’avion pour un week-end: « Je les aime, mais ils flinguent la planète. Certains ont des empreintes à 30 tonnes ! » A l’écouter, la teneur des débats politiques serait tout autre si nous avions tous une idée plus précise des conséquences climatiques de nos actions : « Nous n’aurions pas ces débats à la con sur le repas végétarien par semaine dans les cantines scolaires. »
Ces calculs ont aussi leurs limites : insister sur l’empreinte carbone ne fait-il pas peser sur les individus l’entière responsabilité d’une transition écologique qui ne peut être que structurelle ? Et à entretenir l’illusion que ces « écogestes » su ront ? On pense aux années 2000, quand le récit collectif était encore au « développement durable », à la sensibilisation gentillette au tri sélectif par les pouvoirs publics… « Tout n’est pas entre les mains de l’individu. Nos actions quotidiennes sont contraintes. Lorsque vous habitez le périurbain parce que le foncier est trop cher en centreville et qu’il n’y a pas de transports en commun près de chez vous, vous dépendez entièrement de la voiture », note Solange Martin.
Cette sociologue, qui a travaillé à l’Agence de la transition écologique (Ademe), souligne que « l’approche par les comportements » repose sur l’idée enchantée que l’individu a un « libre arbitre et réagit sans friction à des stimuli, comme les signaux-prix ou les labels sur les produits ». Même réserve chez l’économiste Antonin Pottier, qui vient de publier avec plusieurs chercheurs une étude consacrée aux inégalités écologiques (1). « L’empreinte carbone attribue aux individus des émissions qui sont celles d’un système, et notamment d’un système d’urbanisation que nous n’avons pas tous choisi, mais dans lequel nous vivons. » Ce concept, estime-t-il, peut accélérer la prise de conscience, mais il est