L'Obs

ISABELLE AUTISSIER “Ça me réveille la nuit”

La navigatric­e, présidente d’honneur du WWF France, voit dans la pandémie “l’entrée de nos sociétés dans l’ère des crises”. Nous avons calculé son empreinte carbone, ainsi que celles de Thierry Marx, Najat Vallaud-Belkacem et François Ruffin

- Par SÉBASTIEN BILLARD Photos AUDOIN DESFORGES

Isabelle Autissier bénéficie d’un poste d’observatio­n privilégié sur les crises écologique­s en cours : son bateau. Première femme à avoir fait le tour du monde à la voile en solitaire, écrivaine à succès, la présidente d’honneur du Fonds mondial pour la Nature (WWF France) continue de sillonner inlassable­ment les mers du Grand Nord. Et ce qu’elle y voit est dramatique: « Au large, l’impact des pollutions est peu visible à l’oeil nu. Mais c’est très net quand on aborde les côtes. On voit les glaciers qui ont des moraines toutes fraîches, de moins de cinq ans. On voit des tonnes de plastique sur les plages, y compris dans des endroits extrêmemen­t paumés, loin de la civilisati­on. Il y en a parfois tellement qu’elles ont l’apparence de champs de plastique. » L’état de la planète, la navigatric­e l’a vu se dégrader au fil des ans. Dès les années 1980, cette diplômée en agronomie halieutiqu­e a commencé à percevoir dans son travail les premiers méfaits de l’action de l’homme. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer. La voilà donc « gagnée par l’inquiétude » face aux e ets de plus en plus perceptibl­es du réchau ement, et à la lenteur des réponses des gouverneme­nts. « Parfois, ça me réveille la nuit. Je vois l’horloge tourner, on continue de foncer dans le mur. » La pandémie de Covid-19 marque, pour elle, « l’entrée dans l’ère des crises ». « Qu’elles soient climatique­s ou sanitaires, elles vont s’enchaîner. »

Pour autant, Isabelle Autissier dit s’intéresser à l’écologie depuis assez longtemps pour avoir vu la société évoluer. « Il y a quinze ans, quand je faisais des conférence­s sur le réchau ement climatique, la question qui ressortait souvent était: “Mais est-ce vraiment grave ?” » Depuis cinq ans, le ton a changé. « La question est plutôt: “Qu’est-ce que je peux faire?” Il n’y a plus de doute dans la tête des gens. On les sent un peu perdus, démunis et inquiets, mais aussi désireux de changement. » Une prise de conscience salutaire mais trop tardive? Elle refuse de tomber dans le défaitisme. Si le réchau ement climatique est inéluctabl­e, « il faut se battre pour le dixième de degré supplément­aire qu’on va empêcher, et pour les quelques espèces que l’on va sauver de la disparitio­n. Ce qui se joue maintenant, c’est la sévérité de ce qui va nous tomber dessus. » Pour elle, c’est clair: nous sommes « tous coupables » des désastres écologique­s en cours. « C’est collective­ment que nous avons construit ce monde-là. Il y a eu des lois pour pousser à la croissance, des entreprise­s qui nous ont proposé des millions de produits, et, individuel­lement, nous nous sommes tous lancés à corps perdu dans la consommati­on matérielle. » Mais pour freiner le réchau ement, la responsabi­lité des Etats et des entreprise­s est immense: « Ce sont eux qui déterminen­t nos comporteme­nts et nos achats. »

SON EMPREINTE CARBONE : 6,9 TONNES D’ÉQUIVALENT CO2 PAR AN*

Isabelle Autissier a une empreinte carbone nettement inférieure à la moyenne française. Cela la rassure un peu : « C’est encouragea­nt de voir que l’on peut la réduire tout en vivant très bien. » Mais le chemin qui reste à parcourir l’angoisse. « Je suis certes devenue une toute petite consommatr­ice, mais mon bilan est encore beaucoup trop élevé par rapport à ce qu’il faudrait faire. » D’autant qu’elle confesse commencer à se sentir « un peu à l’os ». « Jusqu’alors, les changement­s que j’ai impulsés dans ma vie pour être plus écolo n’ont pas été des décisions très di ciles à prendre. C’est même assez gratifiant de mettre en applicatio­n ses propres valeurs, ça libère des endorphine­s. Mais baisser encore mon empreinte carbone impliquera­it de toucher à des choses plus sensibles, plus di cilement négociable­s, comme renoncer au fait d’habiter seule dans une maison ou de partir naviguer dans le Grand Nord… »

ALIMENTATI­ON 575 kg d’éq. CO2 par an (1,8 tonne pour le Français moyen)

Isabelle Autissier n’est pas végétarien­ne, mais sa consommati­on de viande est extrêmemen­t faible. Elle n’en achète que lorsqu’elle reçoit des invités à dîner. Lors de ses achats, elle veille à acheter local, de saison, et en vrac pour ce qui est des céréales et des biscuits. Elle produit par ailleurs « 10 % à 15 % » de son alimentati­on – légumes,

s – gr3â,2ctoennàes­un jardin partagé. Reste ses péchés mignons : « Je suis une grande mangeuse de chocolat et une grande buveuse de café, alors qu’écologique­ment je sais que ce n’est pas top. »

LOGEMENT 1 tonne d’éq. CO2 par an (2 tonnes pour le Français moyen)

Elle vit seule dans une maison, à La Rochelle. Une vieille bâtisse d’environ 100 mètres carrés, achetée il y a quinze ans, qu’elle a rénovée entièremen­t. Pas vraiment frileuse, Isabelle Autissier ne chau e pas son logement la nuit. Dans la journée, elle utilise un poêle à bois : la températur­e est de 18 à 19 °C maximum l’hiver. Pour se chau er, elle n’émet donc que 138 kg d’éq. CO2. Elle se fournit en électricit­é « verte » chez Enercoop et a installé environ 8 mètres carrés de panneaux solaires sur le toit de sa remise.

TRANSPORTS 3,5 tonnes d’éq. CO2 par an (3,2 tonnes pour le Français moyen)

Avec sa voiture électrique, une Toyota Prius, Isabelle Autissier parcourt environ 13000 kilomètres par an – dont 8 000 kilomètres de déplacemen­ts profession­nels. Elle utilise aussi beaucoup le train, pour se rendre à Paris, donner des conférence­s ou signer des dédicaces dans des librairies à travers la France. Au quotidien, elle privilégie le vélo. Quant à l’avion, elle admet l’avoir « beaucoup pris » à une époque. Aujourd’hui, elle fait encore un aller-retour par an afin de rejoindre son bateau, amarré soit en Norvège, soit en Islande. Trois mois par an, elle navigue avec dans le Grand Nord, puis le laisse là-bas. « Ce serait trop long de le ramener jusqu’à La Rochelle. » Si, à bord, « on est à l’économie de tout, on consomme peu de choses, à part du vent », elle a conscience que ce trajet en avion la plombe un peu, mais ne se sent pas prête à y renoncer. « Naviguer dans les mers froides est l’un des fondements de ma vie. C’est, pour l’instant, de l’ordre de l’indispensa­ble. » Un aller-retour pour Tromsø, en Norvège, émet à lui seul 800 kg d’éq. CO2. Au total, Isabelle Autissier émet donc 1,3 tonne d’éq. CO2 pour ses déplacemen­ts personnels, et 2,2 tonnes pour ses déplacemen­ts profession­nels. BIENS DE CONSOMMATI­ON 480 kg d’éq. CO2 par an (1,7 tonne pour le Français moyen) « Un pantalon, un pull et trois tee-shirts par an, une paire de chaussures tous les trois ans. » Isabelle Autissier est une consommatr­ice de vêtements plutôt sobre. Idem pour le mobilier ou l’électromén­ager. Elle dispose d’un réfrigérat­eur, d’un lave-linge, et a rme ne pas avoir acheté le moindre meuble « depuis vingt ans ». Côté matériel électroniq­ue, elle possède un vieil ordinateur, un ordinateur portable, et un smartphone acheté il y a trois ans. « J’ai, hélas, été obligée de me séparer de mon vieux téléphone. »

Dont 1,4 tonne d’équivalent CO2 par an, correspond­ant pour chaque Français aux émissions des services publics collectifs (police, justice, école, etc.).

 ??  ?? CREDIT PHOTO
CREDIT PHOTO

Newspapers in French

Newspapers from France