Rimbaud express
LA CONSTELLATION RIMBAUD, PAR JEAN ROUAUD, GRASSET, 180 P., 18 EUROS.
C’est d’abord un exploit. Quand de redoutables universitaires se livrent une guerre sans merci pour l’emporter, au poids, sur la biographie du confrère, deux cents pages aérées suffisent à Jean Rouaud pour tirer le portrait du poète des Ardennes. Il est vrai que Rimbaud, raconté par des agrégés ou des thésards, ça ne sera jamais Rimbaud. Mais immortalisée par Rouaud, qui sait comme personne que l’enfer, pour les humbles, ne dure pas que le temps d’une saison (voir comment il a raconté les champs d’honneur de 1914 ou de la Commune de Paris), la vie de Rimbaud a soudain une tout autre allure. Et puis le poète le plus rapide de l’histoire (après quelques années d’exercice, il abandonne la plume et change brutalement d’affectation) ne saurait se comprendre que dans la précipitation d’un récit qui brûle les étapes. Ce qui occupe Rouaud, dans ce portrait de groupe avec poète, c’est bien cela : l’éclat mystérieux de l’étoile Rimbaud, la brillance brève, et le noir aussitôt.
Succession de portraits d’amis, de proches, de membres de la famille (Frédéric Rimbaud, le père militaire, Vitalie, la mère, mais aussi Izambard, Delahaye, Demeny, Verlaine ou, moins connu, ce monsieur Fricotot), pèlerinage sur les lieux rimbaldiens par excellence (Charleville, Paris, Bruxelles, Londres, la ferme de Roche), « la Constellation Rimbaud » tient du dépliant touristique, de l’hagiographie religieuse, de l’Indicateur Chaix (tant Rimbaud parcourut de kilomètres), du roman d’aventures, de l’encyclopédie savante, mais surtout des premiers kinétoscopes qui permettaient au spectateur de voir s’animer une ombre – n’est-ce pas Arthur lui-même que l’on voit soudain évoluer sous nos yeux ? Pour Rouaud, « ce n’est pas Rimbaud qui renonce à la poésie, c’est la poésie qui rejoint la brocante des siècles, laissant à de vieux Don Diègue les cruels souvenirs de sa gloire passée ». Comprenez : la poésie était encore trop lente pour Rimbaud, l’infatigable road runner de la poésie française. Sans jamais avoir l’air de mouiller le maillot, Jean Rouaud lui colle au train. Quel marathon !