L'Obs

“De sang-froid”, ça brûle

DE SANG-FROID, PAR RICHARD BROOKS. DRAME AMÉRICAIN, AVEC ROBERT BLAKE, SCOTT WILSON, JEFF COREY (1967, 2H15). DISPONIBLE EN DVD/BLU-RAY CHEZ WILD SIDE.

- NICOLAS SCHALLER

Le 15 novembre 1959, Herb Clutter, un riche fermier du Kansas, et sa famille sont sauvagemen­t tués chez eux pour un butin ridicule : 40 dollars et une radio portative. Le quadruple meurtre fait l’objet d’un entrefilet dans le « New York Times », qui tape dans l’oeil de Truman Capote. L’auteur mondain de « Breakfast at Tiffany’s », qui a grandi en Alabama, se rend sur place pour enquêter, il copine avec les locaux, la police et les coupables, Perry Smith et Richard Hickock, deux parias pendus le 14 avril 1965, quelques mois avant la sortie de « De sangfroid ». Best-seller mondial, le livre de Capote, à la fois enquête journalist­ique et plongée dans la psyché des tueurs et d’une société capable de les exécuter, est considéré comme le premier « roman de non-fiction ». L’acte de naissance du « true crime », ou roman noir tiré de faits divers, auquel James Ellroy doit tant (et inversemen­t). Avant même sa parution, Hollywood se dispute les droits d’adaptation. Richard Brooks, auréolé du succès des « Profession­nels », coiffe Billy Wilder et Otto Preminger au poteau : il a le même agent que Capote. Le studio pense à Paul Newman et Steve McQueen pour camper les deux criminels, Brooks veut deux visages inconnus. Pour retrouver l’authentici­té du livre, le cinéaste tourne sur place, dans la maison des Clutter, il rachète les latrines de la prison, confie leurs propres rôles aux commerçant­s du coin, aux jurés du procès, au bourreau. Et impose de filmer en Scope noir et blanc : « La peur n’existe pas en couleurs », dit-il. « De sangfroid » est un chef-d’oeuvre, l’exception à la règle selon laquelle les grands livres ne donnent jamais des films à la hauteur. C’est un cauchemar aux multiples facettes, un diamant noir dont les reflets étincelant­s éclairent la face sombre de l’Amérique. La photo vénéneuse de Conrad Hall, la musique de Quincy Jones et le montage protéiform­e participen­t de sa modernité, qui annonce le cinéma de David Fincher et celui de David Lynch. Lequel confiera dans « Lost Highway » le rôle de l’« Homme Mystère » à Robert Blake, l’inoubliabl­e interprète de Perry Smith, métisse cherokee et homosexuel honteux, en perfecto et boots de cow-boy, qui se rêvait chanteur de charme. Remercions Wild Side d’offrir à « De sang-froid » un digne écrin avec cette édition DVD/Blu-ray accompagné­e d’un livret de Philippe Garnier, des témoignage­s de Patrick Brion (Monsieur « Cinéma de minuit »), Stéphane Lerouge (expert des bandes originales) et d’une interview de Richard Brooks, exhumée des archives de l’émission « Cinéma, cinémas ».

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Robert Blake et Scott Wilson.

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