L'Obs

Taylor Swift, plagiaire d’elle-même

FEARLESS (TAYLOR’S VERSION), PAR TAYLOR SWIFT (TAYLOR SWIFT).

- FABRICE PLISKIN

Récemment, « Rolling Stone » demandait à Nancy Sinatra quel était le meilleur conseil que lui avait donné son père. Réponse : « Il m’a conseillé d’être propriétai­re de mes morceaux. Ce n’était pas son cas chez Capitol Records, c’est pourquoi il a lancé son propre label, Reprise. » Reprise : le mot pourrait aussi définir la démarche de Taylor Swift qui, après avoir été spoliée de ses copyrights, a décidé de réenregist­rer ses six premiers albums et publie, en avril, « Fearless (Taylor’s Version) », une « reprise » de son disque de 2008.

Le plus souvent, quand un artiste signe un contrat avec un label, celui-ci possède les « masters » de ses enregistre­ments. En 2018, Swift a quitté le label Big Machine, avec lequel elle avait signé à l’âge de 15 ans, pour rejoindre Universal. En 2019, son catalogue a été vendu par Big Machine à Ithaca, la société de Scott Braun, manager, entre autres, de Kanye West et de Justin Bieber. En 2020, Ithaca a vendu les masters de Swift pour 300 millions à Shamrock Holdings. Taylor a voulu racheter ses propres chansons à Ithaca. Mais Scott Braun, avant toute négociatio­n, exigeait qu’elle signât un impossible accord de confidenti­alité selon lequel elle ne dirait « plus un mot sur Scott ou que des paroles positives ». L’Américaine a comparé cet accord inique à ceux que l’on fait signer aux « victimes d’agression pour les faire taire ».

Pour sortir de cette impasse, Swift sort donc un remake de « Fearless ». Economique­ment, c’est une juste délivrance. On peut aussi l’interpréte­r, d’un point de vue féministe, comme une forme d’émancipati­on et d’empowermen­t. Musicaleme­nt, le résultat est pour le moins conservate­ur, anti-aventureux, et vaguement dogmatique. « Shake It O » ? Pas vraiment. Malgré un son plus riche et une voix plus profonde (Swift, 31 ans, avait 18 ans quand elle a enregistré la première version), les chansons, peu ou prou, restent les mêmes. Conscienci­euse imitatrice d’elle-même, archi-soucieuse de ne pas incommoder nos habitudes de consommate­ur, l’entreprene­use a choisi entre l’identité et la di érence. L’artiste a manqué une occasion de dialoguer avec son oeuvre. Au risque de se spolier elle-même ? Exercice d’uchronie : imaginez que les Beatles réenregist­rent leurs six premiers albums, en 1970. « I Want To Hold Your Hand » sonnerait-il comme en 1963 ?

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