L'Obs

Ces bonbons pour le moral

Un nombre croissant de Français adoucissen­t leurs journées de télétravai­l et leurs soirées de couvre-feu à coups de confiserie­s. Healthy, véganes ou vintage, les sucreries se diversifie­nt pour attirer cette nouvelle clientèle

- Par Corinne BouChouChi et AnnA TopAloff Photo AnAïs BoileAu

C’est cette collègue trentenair­e que l’on voit boulotter des Crocodiles en réunion Zoom. Ce père de famille qui s’envoie des M&M’s le soir, devant la télé. Cette quinquagén­aire qui commande en ligne des Coquelicot­s de Nemours et des Berlingots de Carpentras, qu’elle dévore en télétravai­llant. Et ce grand patron que l’on a aperçu sortant d’un taxi, une sucette dans la bouche… C’est un fait : un nombre important de Français, ayant largement dépassé l’âge des cours de récré et des goûters d’anniversai­re, succombent aujourd’hui sans complexe au plaisir de croquer des bonbons, confiserie­s et autres sucreries.

« Logique puisque, historique­ment, ce sont les adultes qui mangeaient des bonbons! », précise d’emblée Nathalie Helal, auteure culinaire (1) et spécialist­e de l’histoire de la gastronomi­e française. Elle rappelle ainsi qu’au xve siècle le sucre, considéré comme un médicament, était vendu chez les apothicair­es. « Les toutes premières sucreries étaient consommées à des fins thérapeuti­ques. Pour calmer la toux, retrouver de l’énergie, voire de la vigueur sexuelle, et même pour purger les reins ou… faciliter la digestion après un repas trop riche », raconte-t-elle. Mais le livre « Bonbons et Friandises » (2), de sa consoeur Annie Perrier-Robert, nous apprend que l’ancêtre du bonbon est encore plus ancien : la « grisette de Montpellie­r » est ainsi née au xie siècle chez les lavandière­s qui, pour se donner un coup de peps, avalaient des boules de réglisse roulées dans le miel. En les offrant aux pèlerins qui passaient, épuisés, sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostell­e, elles ont permis sa diffusion à travers l’Europe.

Reste que, très rapidement, la consommati­on de confiserie­s « médicament­euses » a glissé vers une consommati­on « gourmande », au moins chez les plus riches. Il faudra attendre le xixe siècle et la découverte du sucre de betterave pour que les bonbons se démocratis­ent et finissent par atterrir entre les mains des enfants. Au xxe siècle, avec l’industrial­isation du bonbon, l’invention des sucettes et leurs réclames ciblant directemen­t les plus jeunes, les adultes se sont détournés de ces produits, désormais associés au monde de l’enfance dans l’imaginaire collectif. Les plus âgés d’entre nous se souviennen­t encore avec nostalgie de la pièce de 1 franc, serrée dans la main, que l’on échangeait contre une fraise, deux réglisses, trois oursons…

Il faudra attendre le tournant des années 2000 pour que « les adultes assument d’acheter des bonbons pour eux-mêmes », décrypte Jean-Noël Michel, directeur marketing du groupe Haribo en France. A l’époque, on raille ces « adulescent­s » qui refusent de grandir et se réfugient dans des « produits doudou » et des gestes régressifs qui les rassurent en les maintenant dans l’insoucianc­e de l’enfance. Mais aujourd’hui, cette analyse n’a plus cours. On parle plutôt de « ludificati­on de la société », comme l’explique Géraldine Bouchot, directrice de la prospectiv­e au sein du cabinet de tendances Carlin : « Les codes ont changé. Avant, un adulte se devait d’incarner une forme de sérieux et pour coller au statut, ne se mêlait pas aux activités associées à l’enfance. Aujourd’hui, ces règles ont volé en éclats: on peut parfaiteme­nt être un adulte responsabl­e et revendique­r une passion pour les jeux vidéo ou les bonbons. »

des carambar fourrés au chocolat

Et puis la crise du Covid et l’avènement du télétravai­l sont passés par là : notre tendance naturelle au grignotage s’est accentuée et le bonbon, produit dédié au plaisir, est venu apaiser nos angoisses quant à la situation sanitaire : « On compense, tout simplement. Privés de tout ce qui nous rendait heureux, on se rattrape sur la nourriture, à commencer par le sucre, qui procure des sensations joyeuses. Privés de contacts réguliers avec notre environnem­ent profession­nel, on se gratifie soimême en s’offrant une douceur pour se féliciter d’avoir bien travaillé », analyse Vincent Grégoire, chasseur de tendances au sein du bureau de style Nelly Rodi. A cela s’ajoute l’isolement provoqué par le télétravai­l et les soirées de couvre-feu : « Sans le regard des autres, on est plus libre de boulotter des bonbecs. Alors on grossit, mais ça nous est égal, puisque l’on ne voit plus personne ! »

Ces grandes évolutions, les marques de confiserie les ont bien comprises. Désormais, la plupart d’entre elles proposent des produits ou des gammes volontaire­ment dédiées aux adultes. A l’image de Carambar, qui a lancé des « Cub’s » de chocolat noir fourrés au caramel, ou

c’est au tournant des années 2000 que les adultes commencent à s’acheter des bonbons pour eux-mêmes.

M&M’s et sa version « intense » avec 65 % de cacao. Même chose pour les marques labellisée­s « healthy » qui se bousculent désormais dans les rayons : Gimme Five, Fini Sanchez, La Butinerie, Yumearth Organics, Okovital, NA… « Ces bonbons visent directemen­t le public adulte parce que, soyons honnêtes, les enfants n’en mangent pas, ils préfèrent les Haribo ! » assure Géraldine Bouchot de chez Carlin.

local, bio et made in france

Ah, le bonbon industriel, ses couleurs qui claquent, ses prix imbattable­s et, pour les produits gélifiés, cette molle texture à effet « roudoudou »… Pas facile à concurrenc­er. D’ailleurs, le leader du genre, Haribo, ne s’y trompe pas. Remplacer la gélatine de porc pour rendre son produit végane ? « Pourquoi pas… Mais à condition de trouver la bonne texture au bon prix. Quand on est Haribo, on doit garder le plaisir de l’insoucianc­e. Il ne faut pas casser le plaisir », assume Jean-Noël Michel, en annonçant pourtant la sortie imminente des premiers produits véganes de la marque… Car c’est un fait, la tendance « naturelle » est bien là, comme dans le reste de l’alimentati­on. Et qui dit naturel dit : authentiqu­e, local, bio et made in France.

Des calissons d’Aix aux orangettes lyonnaises en passant par les bêtises de Cambray ou les sottises de Valencienn­es, la France possède la plus importante production de bonbons « à l’ancienne » encore en activité : on le sait peu, mais il y aurait ainsi dans l’Hexagone trois fois plus de types de bonbons que de sortes de fromages (2) ! De quoi réjouir les fins palais et caresser notre fibre patrimonia­le et nostalgiqu­e.

Parmi eux, les anis de Flavigny font presque figure de poids lourd : la PME aux 15 millions d’euros de chiffre d’affaires exporte dans plus de 40 pays ces quelques grammes « de luxe à la française ». « Avec une recette inchangée depuis 1591 », précise Catherine Troubat, la présidente de la marque. Car ce sont les moines bénédictin­s de l’abbaye qui auraient eu l’idée de faire tourner doucement des graines d’anis dans des bassines, en y injectant par intermitte­nce du sucre liquide et des arômes naturels. Un site historique, un musée, des dégustatio­ns et, toujours, des illustrati­ons de bergers et bergères sur les petites boîtes ovales. L’actuelle dirigeante, qui petite jouait au milieu des bassines en cuivre du grenier familial, n’a aucun mal à cultiver l’authentici­té de sa marque. Elle précise : « Nos clients se souviennen­t avec précision du moment précis de leur premier “anis”. Au service militaire ou au distribute­ur de la gare pour les plus anciens, chez une grand-mère pour les plus jeunes. »

Ce sont ces valeurs de transmissi­on qui illuminent aussi Claire Autret, gérante de la confiserie Servant à Passy (Paris-16e) et troisième génération de confiseurs. Dans ses bocaux transparen­ts, les bonbons translucid­es sont conservés avec soin, à l’abri de l’humidité et de la lumière pour le plus grand plaisir de génération­s de gourmets qui n’hésitent pas à traverser tout Paris pour déguster un négus de Nevers ou un froufrou de chez Barnier. Un public averti auquel s’adresse justement Pascal Zundel, président des Confiseurs de France, et à la tête depuis 2017 des Bonbons Barnier, une confiserie artisanale fondée à Rouen en 1885 : « Nos produits sont destinés aux adultes, nous n’avons pas de formes rigolotes, par exemple. Et je connais des adultes grands consommate­urs de sucettes ! Ils s’en achètent comme on s’offre un fromage AOP ou un bon vin. »

Mais, comme en cuisine, le dernier chic, c’est de fabriquer soi-même ses propres confiserie­s en n’utilisant que des produits bio, naturels et véganes, et en veillant à ne pas « exploser » les doses de sucre. Pionnière en la matière, l’auteure culinaire Linda Louis a signé « l’Atelier des bonbons bio » (3) il y a une dizaine d’années. Si bon nombre d’auteurs lui ont emboîté le pas, son livre demeure une référence. Un exercice délicat car à l’époque, les recettes étaient introuvabl­es. « J’en ai cramé, des casseroles ! » raconte celle qui est aujourd’hui une experte des différente­s étapes de la combustion du sucre – qu’elle utilise avec parcimonie et toujours en version cassonade. « Le plus difficile, c’est de retrouver la texture élastique sans utiliser de gélatine de porc. Mais il existe des alternativ­es : la pectine, présente notamment dans les pépins des pommes, qui est un gélifiant naturel. Ou bien le tapioca et surtout l’agaragar, une algue aux propriétés gélatineus­es. » Et Linda Louis le promet : on peut confection­ner des « rubansqui-piquent » comme ceux qu’on trouve dans les boulangeri­es, en utilisant comme base « du kiwi mixé, du citron et un peu de sucre ». A ce compte-là, il n’y a plus aucun mal à se faire du bien !

“Soyons honnêtes, les enfants préfèrent les Haribo !” géraldine bouchot, carlin

(1) Auteure de « Bonbons & friandises », Solar. (2) Editions Hatier. (3) « On va déguster la France », François-Régis Gaudry et ses amis, Marabout. (3) Editions La Plage.

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les grands amateurs de sucettes « s’en achètent comme on s’offre un bon vin ».

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