L'Obs

Le 10 mai à l’envers

- Par SYLVAIN COURAGE, rédacteur en chef S. C.

Entre 1981 et 2021, la comparaiso­n est cruelle. A quarante ans d’écart, aucune des conditions qui ont permis la victoire historique de François Mitterrand n’est aujourd’hui remplie pour la gauche. Nous assistons à un 10 mai à l’envers. Avec pour probable issue son éliminatio­n dès le premier tour de la prochaine élection présidenti­elle. « La division de la gauche française est endémique », souligne l’historien Michel Winock (voir p. 36). En 1981, souvenons-nous-en, la victoire a été construite sur de solides fondations : l’adoption d’un Programme commun dès 1972, une candidatur­e unique, celle de François Mitterrand, défait d’une courte tête par Valéry Giscard d’Estaing en 1974 ; puis sur la victoire de l’Union de la Gauche aux municipale­s de 1977. Ce parcours initiatiqu­e avait fait converger les électorats des frères ennemis de la gauche. En 1977, l’abandon du Programme commun devant les exigences communiste­s fut l’occasion pour François Mitterrand d’adresser un message subliminal à l’opinion modérée : l’homme du congrès d’Epinay, qui avait rompu avec la stratégie d’alliance au centre, n’était pas l’otage des communiste­s. A la tête du premier parti de France, le tacticien charentais s’apprêtait même à plumer le vieux parti brejnévien. Pour l’emporter face à un VGE lessivé par la crise économique, il fit valoir sa « force tranquille ». On connaît la suite…

En 2021, tout est sens dessus dessous. Jean-Luc Mélenchon, ancien socialiste, reproduit-il le dogmatisme des communiste­s de naguère ? Lui, l’admirateur de François Mitterrand, redoute de subir les conséquenc­es personnell­es d’une union. Son programme n’est pas négociable. Sa candidatur­e est bien la troisième comme celle de Mitterrand le 10 mai 1981. Mais ici s’arrête la comparaiso­n.

Ce raid solitaire apparaît comme le combat de trop qui pourrait précipiter son mouvement dans un périlleux « après Mélenchon »…

Le Parti socialiste, lui, est déjà vidé de sa substance. De quelle langueur se meurt-il ? De n’avoir jamais refermé la parenthèse du 10 mai 1981 et de ses lendemains qui ont déchanté. Prisonnier de ce passé, le vieux parti d’Epinay n’a pas su faire sa mise à jour sociale-démocrate. Le monarque François Mitterrand ne voulait sous aucun prétexte sortir de l’ambiguïté. Et François Hollande, trop occupé à ménager une unité de façade, est resté dans le non-dit. D’où l’incompréhe­nsion et la révolte des « frondeurs » sur son aile gauche… Sans cap ni capitaine, le fantôme du PS s’en remet désormais à Anne Hidalgo avec l’espoir qu’elle parvienne à changer d’ère en obtenant le soutien d’Europe Ecologiele­s Verts. Mais si la maire de Paris devait renoncer, le premier secrétaire Olivier Faure se prépare déjà à s’effacer devant un prétendant écologiste. Une présidenti­elle sans candidat socialiste ? Ce serait une première depuis 1965.

Incontourn­ables, les Verts sont porteurs d’un nouveau projet de société. Mais ils n’échapperon­t au dogmatisme qu’en confrontan­t leur morale au réel. Rien de tel que d’échafauder une plateforme de gouverneme­nt avec leurs partenaire­s putatifs. Avant 1981, cette collaborat­ion fut décisive. Elle demeure prioritair­e. Si la gauche veut exister et élargir son électorat au-delà des 30 % d’intentions de vote dont elle est créditée (48 % des suffrages au premier tour en 1981 !), il lui faut d’abord bâtir un projet crédible. Pas d’alternance sans alternativ­e. Le peuple en liesse qui faisait la couverture du « Nouvel Observateu­r » il y a quarante ans n’attend que des raisons d’y croire pour ressurgir.

C’est la saison des assemblées générales, le moment où les actionnair­es des sociétés cotées en Bourse votent pour valider (ou pas) les rémunérati­ons des dirigeants. Il est rarissime qu’ils parviennen­t à constituer une majorité pour s’y opposer, mais de plus en plus souvent, ils montrent leur défiance en réunissant 20%, 30% ou 40% de voix « contre ». Cette saison, les actionnair­es sont plus vigilants encore que d’habitude. Pour une raison simple, que souligne Laurent Rouyrès, de la société Labrador, spécialisé­e dans la communicat­ion financière : ils se méfient « des rattrapage­s de rémunérati­on, suite aux baisses annoncées l’année dernière en raison de la pandémie ». Bonne nouvelle, ces rémunérati­ons sont publiques, détaillées dans le document d’enregistre­ment publié avant l’assemblée générale. Mauvaise nouvelle, ce n’est pas toujours d’une grande clarté. Pour arrêter leurs décisions, les actionnair­es prennent donc souvent conseil auprès de sociétés spécialisé­es comme Proxinvest ou ISS, dont le métier est de décortique­r les résolution­s présentées au vote.

Quels enseigneme­nts peut-on tirer de la saison 2021 ? D’abord, que l’on connaît déjà celui qui sera le PDG le mieux payé du CAC 40 pour l’exercice 2020. Comme l’année précédente, la palme revient à Bernard Charlès, le patron de la société de logiciels Dassault Systèmes, avec quelque 20 millions d’euros. « Il n’a pas touché d’aides d’Etat, pas fait appel au chômage partiel et l’entreprise va très bien », note Loïc Dessaint, de Proxinvest. Le numéro deux du classement, Daniel Julien, patron du groupe de centres d’appels Teleperfor­mance, s’accorde, lui, 17 millions d’euros (+29% par rapport à l’année d’avant). L’écart avec ses salariés, bien souvent payés au smic, continue à s’étirer et même ses actionnair­es en sont choqués : ils ont été 38,8% à s’opposer à cette rémunérati­on. Numéro trois, l’Américain Douglas Pferdehirt, patron de TechnipFMC, est toujours aussi irritant pour les actionnair­es français, même s’il est soutenu côté texan : il a raté sa fusion entre Technip et FMC, le secteur pétrolier va mal et il va pourtant toucher 10,4 millions d’euros alors que la médiane du CAC 40 pour 2020 est à 4,2 millions, selon Proxinvest (la moitié des patrons gagnent plus, l’autre moitié moins que cette somme).

Jean-Paul Agon, qui est depuis quinze ans PDG de L’Oréal, accumulant ainsi une fortune en actions de plus de 400 millions d’euros, va s’éloigner cette année du trio de tête. Il a renoncé totalement à sa part variable (sa rémunérati­on passe donc de 9 à 3 millions d’euros). Le 1er mai, il a laissé la direction générale à Nicolas Hieronimus pour se cantonner à la présidence. Son successeur gagnera 2 millions d’euros de salaire fixe, 2 millions d’euros de rémunérati­on variable et 4 millions d’euros d’actions gratuites s’il atteint des objectifs pluriannue­ls… La société étant contrôlée par la famille Bettencour­t, peu d’actionnair­es peuvent s’opposer à ces montants ; mais certains d’entre eux, représenta­nt 10% des droits de vote, ont tout de même essayé. « Plus que la rémunérati­on des dirigeants dans les sociétés familiales, c’est le montant des dividendes qui nous pose problème, note Denis Branche, responsabl­e de la société de gestion Phitrust. Nous avons voté contre ce rattrapage, après la modération de 2019, dans au moins cinq cas : LVMH, Bouygues, L’Oréal, Stellantis et Axa. »

En parlant de Stellantis, justement, les actionnair­es de PSA ont eu une surprise après la fusion avec Fiat-Chrysler. La nouvelle société étant de droit néerlandai­s, la rémunérati­on fixe de Carlos Tavares, le directeur général, a tout simplement disparu des documents officiels… alors qu’en France, la loi Sapin II rend sa publicatio­n obligatoir­e. Or on se doute qu’elle n’est pas en baisse… car les fusions sont souvent inflationn­istes : on le voit aussi chez EssilorLux­ottica.

Plusieurs autres cas tourmenten­t les actionnair­es. Celui d’Airbus, où le patron Guillaume Faury a droit à 1,4 million d’euros de variable, soit autant que son fixe. « Est-ce approprié au regard des réductions d’effectifs et des résultats financiers médiocres ? » interroge l’un d’eux. L’an dernier, Faury avait fait don de sa part variable à des ONG. Celui d’Accor, où Sébastien Bazin continuera, après changement des règles de calcul, sans demander au préalable aux actionnair­es, à toucher du variable, certes en forte baisse, en dépit de ses hôtels vides. Celui de la Scor, où malgré un taux d’atteinte de 0% de ses objectifs financiers, Denis Kessler garde les trois quarts de son variable au motif qu’il aurait réussi 150% de ses objectifs en matière de responsabi­lité sociale et environnem­entale. Et la liste n’est pas exhaustive…

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