LE MIROIR QUE NOUS TEND JOE BIDEN
Appelons-le l’« effet Biden », ce sentiment, vu d’Europe, que tout ce que fait ce président démocrate est parfait… La campagne de vaccination à vitesse accélérée, les mesures progressistes et écologistes dans les plans de relance et d’infrastructures, la reconnaissance du génocide arménien ou la négociation du nucléaire iranien… Une Amérique qui nous renvoie une image d’optimisme retrouvé là où nous sommes encore à la peine, entre pandémie et fragmentation politique. Un enthousiasme qui gagne jusqu’à Fabien Roussel, le leader du PCF, qui s’est demandé si Joe Biden n’avait pas pris sa carte du Parti communiste…
Au-delà de l’utilisation classique du miroir de l’« ailleurs » à des fins politiques, l’efficacité des 100 premiers jours du successeur de Donald Trump renvoie en effet l’Europe à ses problèmes structurels. Josep Borrell, le responsable de la politique étrangère commune européenne, soulignait la semaine dernière, dans un dialogue avec le Groupe d’Etudes géopolitiques (GEG), qu’il ne s’était passé que deux mois entre l’entrée de Joe Biden à la Maison-Blanche et l’arrivée des premiers chèques du plan de relance dans les foyers américains, avec un impact économique immédiat. Par contraste, rappelait-il, l’air accablé, les Européens ont commencé à parler de leur propre plan de relance en mars 2020, l’ont adopté en juillet 2020, mais l’argent ne sera disponible pour les Etats qu’en septembre 2021… Dix-huit mois en pleine crise sanitaire et économique, une folie ! Grandeur et servitude du fonctionnement à vingt-sept Etats souverains et démocratiques, et de l’association fatale entre logiques intergouvernementales et bureaucratiques.
Et encore, chaque décision sensible prise à l’unanimité des Vingt-Sept donne lieu à un psychodrame du fait des résistances d’un ou de plusieurs Etats, et ne finit par passer que lorsque est agitée la menace, généralement brandie par la France et l’Allemagne, de « faire sans eux »… C’est ce qui s’est produit, toujours sur le plan de relance, avec la Pologne et la Hongrie, qui bloquaient tout pour faire sauter la clause liant les aides européennes au respect de l’Etat de droit… Finalement un compromis fut trouvé car ni Varsovie ni Budapest ne voulaient passer à côté de la manne européenne. Depuis des décennies, depuis l’époque de Jacques Delors à la tête de la Commission européenne, on agite le concept d’« Europe à géométrie variable », permettant, à l’instar de ce qui se fait déjà pour la zone euro, ou sur des projets industriels comme Airbus, les batteries électriques et, prochainement, les semi-conducteurs, d’associer les Etats qui le veulent, et pas nécessairement tous. La réticence à employer cette méthodologie dès qu’il s’agit de questions politiquement sensibles est certes louable, mais suicidaire.
L’Union européenne n’est pas, et ne sera sans doute jamais les Etats-Unis ; mais ça n’empêche pas de rechercher une plus grande efficacité, une véritable cohérence, et un meilleur partage des rôles entre une structure commune à vocation fédérale (le « mot en F… » qu’il ne faut jamais prononcer) et la souveraineté des Etats qui n’est pas près de disparaître, loin de là. Ce sera la clé de sa survie dans un monde qui se restructure à grande vitesse autour de deux pôles opposés. La pandémie a accéléré les mutations de notre monde ; elle en révèle aussi les faiblesses, et celles de l’Union sont apparues au grand jour. La campagne de la présidentielle, qui coïncidera l’an prochain avec la présidence tournante française de l’Union européenne, serait un bon moment pour en débattre. L’avenir de la France passe aussi par là.