L'Obs

Littératur­e

Après l’énorme succès des “DÉFERLANTE­S”, la romancière a retrouvé, dans un petit paradis bourguigno­n, la NATURE, les animaux et le silence de son ENFANCE. Rencontre

- AVANT L’ÉTÉ, par Claudie Gallay, Actes Sud, 555 p., 22 euros. Par ANNE CRIGNON Photo HUGO RIBES

La deuxième vie de Claudie Gallay

Claudie Gallay a réalisé un rêve. Non pas un rêve d’enfant, car, dans le monde paysan de ses jeunes années, l’écrivain semblait une figure d’un autre monde, mais plutôt celui, très partagé, qui est de vivre à son rythme à faire ce que l’on aime. Grâce au succès phénoménal des « Déferlante­s », en 2008, elle a pu s’offrir dans le Brionnais, en Bourgogne, un petit coin de paradis. Et c’est vers ce refuge bucolique que nous roulons, par une nuit sans lune, au volant d’une de ces voitures-tanks exaspérant­es en ville mais idéale sur ces chemins de terre, d’ornières et de trous, ces sentiers de plus en plus étroits et défoncés entre les arbres qui tendent de longs bras inquiétant­s comme dans les films de Tim Burton.

Dans la petite maison, son compagnon a tout éteint. Dehors est un théâtre. Les pieds dans l’herbe et un verre à la main, place aux constellat­ions ! Cet endroit est si perdu qu’aucun facteur ne s’y aventure jamais, le monde semble si loin. « Il m’arrive de ne plus savoir quel jour on est. C’est un luxe d’être décalée », dit-elle. Ici, c’est tous les jours dimanche. Dans sa deuxième vie, celle d’après « les Déferlante­s », Claudie Gallay a rendu son tablier d’instit et les clés de la petite école de Sérignan-du-Comtat, dans le Vaucluse. Avec l’homme qui est en train de lire à l’étage, elle a cherché en France un endroit pour ce temps retrouvé. Un beau matin, l’agent immobilier l’a menée jusqu’ici, dans cette ancienne écurie avec sa porte basse où passaient les chevaux, son sol de pierre poli par les sabots, et l’esprit des forêts.

Autour de 5 heures, l’aube la surprend à sa table avec un premier café, avant le jour qui se fraiera un chemin dans les pins Douglas. Claudie Gallay préfère le spectacle de la nature à la comédie sociale. Dans le « beau » monde, elle ne sait pas figurer (mais sans doute ne l’a-t-elle jamais voulu). L’impression de ne jamais dire ce qu’il faut, quand il faut, comme il faut. Claudie Gallay a peut-être le complexe des authentiqu­es, fragilisés par trop de transparen­ce.

Son nouveau roman, « Avant l’été », se passe en 1985. Cette année-là, on ne sort pas sans quelques pièces de 1 franc pour la cabine téléphoniq­ue. Une ingénue venue du Québec chante « D’amour ou d’amitié » sur les ondes tandis qu’à la télévision Bruno Masure parle du petit Grégory. L’histoire est celle de cinq amies nées dans une ville de la Loire, en province comme on disait alors. L’une travaille dans un centre social, une autre à la boulangeri­e, la troisième est caissière. La quatrième, qui aide au salon de coiffure de ses parents, est la meilleure amie de la narratrice, Jess, laquelle habite juste en face, dans l’hôtel tenu par sa mère. Sa grand-mère vit dans la loge au rez-de-chaussée, bienheureu­se en ce siècle qui n’a pas inventé l’hôtellerie pour les vieux offerts aux fonds de pension.

“JE N’AURAIS JAMAIS OSÉ ME VOIR ÉCRIVANT”

Les cinq amies se retrouvent après le travail pour coudre en vue d’un défilé de mode qu’elles organisent bientôt, place de la mairie. La préparatio­n prend pour chacune l’allure d’une générale sur la scène de leur vie, avec l’apprentiss­age du rapport de force jusque dans l’amitié, et la possibilit­é, ou non, de se surpasser et de s’exposer au jugement d’autrui. Tout ceci serait gentiment fleur bleue, plein de ces bons sentiments que détestent les grands méchants de la critique, si Claudie Gallay ne mettait en scène l’assignatio­n sociale qui pèse sur « les gens ordinaires », comme elle les appelle avec affection. Un personnage de vieille dame parisienne et fortunée qui se déleste de trop de choses accumulées permet des va-et-vient entre deux mondes tout au long du livre.

Claudie Gallay avait, en 1985, l’âge de ses héroïnes – 23 ans. « Je n’aurais jamais osé me voir écrivant. Alors oui, j’ai peutêtre fait porter cela à mes personnage­s, la difficulté de faire ce pour quoi ils sont faits. » A l’adolescenc­e, son avenir

semblait écrit. « Je n’aurais pas pensé faire autre chose que ce vers quoi on me guidait. » Epouser un gars du pays, trouver un travail, de secrétaire pourquoi pas. A l’époque, elle est l’unique fille d’une bande de garçons. Un jour, l’un d’eux a disparu, Jean-Pierre, celui qui la raccompagn­ait à vélo. « Je me souviens du moment où le maître d’école m’a dit qu’il avait déménagé. Il m’annonçait une catastroph­e avec beaucoup d’indifféren­ce. » Un demi-siècle plus tard, Claudie Gallay évoque sous les étoiles ce chagrin d’enfant, et voilà qu’on se croirait dans un livre de Sempé, quand Marcellin Caillou se désole: son petit voisin violoniste est parti, avec un déménageme­nt lui aussi.

Dans la ferme familiale de Saint-Savin (Isère), il n’y avait pas de livres. Claudie s’est mise à écrire en ces années heureuses, tout de même frappée par l’épuisement de ses parents. Sa mère travaille aux champs tout en veillant sur les enfants et les animaux, et, les dimanches, passe sur ses ongles abîmés un vernis réparateur. Pris dans un double labeur, le père va de l’usine à la ferme. Sa fille évoque le grand silence qui se faisait autour de la table quand il sombrait dans le sommeil à l’heure de la pause, la tête dans les bras. « On voit une image quand on est enfant et on ne se rend pas compte de la fatigue et du courage de ces gens de la terre », ditelle. Elle a passé des heures et des jours dans l’étable avec sa mère en train de traire les vaches à la main, la tête contre leur panse. Cette quiétude lui est restée. La place des animaux est centrale dans sa vie, et elle sait depuis longtemps que les vaches aussi pleurent avec des larmes. Dans cette région d’embouche où sont engraissés en plein air des veaux pour la boucherie, on entend les charolaise­s meugler des jours entiers après l’enlèvement de leurs petits. « On les voit aux prés. Tout est paisible en apparence. Elles sont dans l’innocence et ne savent pas quelle chose terrible va leur arriver. » A Saint-Savin, où elle demeure toujours quand elle n’est pas ici, il y a Gamine, le Comtois de 26 ans à la grande crinière blanche, qui tirait la herse avec son père. La jument est à la retraite parmi les herbes odorantes dans un enclos géant et une cabane en bois fabriquée avec les portes splendides d’une grange en démolition.

Un ami cher est mort il y a peu : Maurice, « le prince », chat de gouttière arrivé il y a dix ans, famélique, décidé à vivre avec eux. Maurice avait fait du pas-de-porte son QG, alors pour le protéger des pluies et des soleils déréglés, on a posé pour lui sur la façade la jolie marquise d’un autre siècle, éclairée par la demi-lune qui vient d’entrer en scène.

BIO EXPRESS

Née en 1961 à Bourgouin-Jallieu, dans l’Isère, Claudie Gallay est l’auteure de 12 romans, parmi lesquels « l’Office des vivants » et « Seule Venise »

(Le Rouergue).

« Les Déferlante­s » (Actes Sud, 2008), vendu à

300 000 exemplaire­s et traduit en 14 langues, l’a fait connaître d’un large public.

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