L'Obs

L’Observatri­ce

Le présentate­ur James Corden aux manettes, Harry Styles, Serena Williams ou Diane Keaton en invités vedettes, Gucci réveille le “placement de marque” en parodiant l’émission américaine culte “The Late Late Show”

- par Sophie Fontanel

Normalemen­t, la mode se méfie de la télévision, jugée peu chic. Lorsque j’étais animatrice à « Nulle Part Ailleurs » (au e siècle) sur Canal +, j’avais du mal (euphémisme) à me faire prêter des vêtements de marques prestigieu­ses. Ce n’est pas de moi que l’on doutait, mais de « l’environnem­ent ». Absurde, je sais. Mademoisel­le Agnès avait réussi un prodige en faisant venir sur le plateau un monde réticent. Et aujourd’hui autre prodige avec les petits films de Loïc Prigent dans « Quotidien ». De plus, les temps changent si vite, la façon même de regarder la télévision en replay est devenue moderne, et l’idée de « prescripti­on » (ce qui fait qu’une personne donne envie aux autres de porter ce qu’elle a sur elle) évolue aussi.

Alessandro Michele, directeur artistique de Gucci, loin des a priori ayant cours dans les années 2000, a soudain réalisé que le mot « show » désignait à la fois un défilé de mode ET une émission de télévision. Dans une époque où on ne peut plus faire de défilé, il s’est penché sur la seconde acception du mot. Un show, et si c’en était un de télévision ?!

Et voici le résultat : le show de James Corden, le vrai, « The Late Late Show », devenu culte en cinq ans, dérouté le temps de six courts films de moins de trois minutes, devient « The Beloved Show ». Commandité par Gucci. Avec de vrais invités, et pas des moindres : Serena Williams, Harry Styles, Diane Keaton, Awkwafina… Ce qu’on appelle dans le jargon de la pub du « contenu de marque ». Sauf que, sous ce terme, on trouve la plupart du temps peu de génie, c’est ultralisse, alors que là! Le plateau, les enregistre­ments du public, la musique, le format et évidemment même l’animateur sont utilisés. Si le nom de Gucci n’est jamais prononcé, la marque n’avance pourtant pas masquée, c’est clairement une campagne de pub autant qu’un show, les invités sont en Gucci. Et on reconnaît les habits instantané­ment. Des gros plans sur les sacs montrent exactement de quoi il retourne. Et pourtant, et c’est ça qui est fou, cela n’a rien d’obscène.

D’abord parce que James Corden est un génie. Chaque invité est interviewé de manière absurde, et l’on est à la fois dans l’émission et dans sa parodie hilarante. James Corden dit d’emblée à Diane Keaton qu’il est heureux de la recevoir car l’invité musical a eu un empêchemen­t. Serena Williams, elle, ne veut jamais s’asseoir et ne peut plus s’arrêter de saluer les invités (virtuels) – Jim Carrey l’avait fait en vrai au « Jimmy Kimmel Live ». Harry Styles se bat pour qu’on ne raconte pas ce qu’il a fait la nuit dernière. Et ainsi de suite. Et on pleure de rire. Et les invités aussi pleurent de rire. Et ça fait un bien ! Les looks, eux, vont être vus bien sûr par 43,9 millions de followers du compte Instagram de Gucci, les millions de fans du « Late Late Show », mais aussi par toutes les personnes qui sont en ce moment en train de partager ce qui les rend heureuses, les défoulent de la morosité et leur donnent foi en une espèce de légèreté qui n’est jamais loin du désir de s’habiller. Un coup de maître.

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ILS LA MONTRENT.
DIANE KEATON ET JAMES CORDEN NE PARLENT PAS DE LA MARQUE, ILS LA MONTRENT.

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