Le “twitto” préféré de Marine Le Pen
Jusqu’ici dans l’ombre, le cofondateur de Génération identitaire, très influent dans la fachosphère, est désormais candidat RN aux départementales
Le téléphone vibre sur la table. Damien Rieu tend la main, comme un réflexe, et décroche aussitôt. « Salut, gros, ça va? », dit le trentenaire aux yeux bleu acier et au langage propre à sa génération. « Tu publies quand la vidéo? 18 heures? 19 heures? OK, je te retweete dès que je peux. Montre d’abord les images, ensuite ta tête. C’est mieux comme ça. » L’homme qui tient le compte Twitter préféré de Marine Le Pen repose son portable et sourit de son prochain coup : dans quelques heures, il relaiera la vidéo postée par le candidat Rassemblement national en Auvergne-Rhône-Alpes montrant des musulmans priant dans la rue à Grenoble. « Stop aux prières de rue islamiques au Piollistan! », peut-on y lire en référence au maire écolo Eric Piolle. Succès garanti dans la fachosphère. En arrivant dans les locaux de « l’Obs », ce grand brun à la barbe soigneusement entretenue, veste de chasseur sur le dos, s’est d’ailleurs amusé de se retrouver sur un terrain inattendu. Il a sorti son smartphone et pris en photo la liste des médias qui y sont affichés : « le Monde », « Courrier international », « la Vie », « le HuffPost ». Il a frissonné. Il entrait dans « l’antre du mal ».
Au RN, tout le monde suit les conseils du cofondateur de Génération identitaire, groupuscule d’extrême droite dissous par Gérald Darmanin en mars. Avec ses 96000 abonnés sur Twitter, il est l’un des hommes les plus influents de la fachosphère, cette communauté numérique de l’extrême droite ultra-active sur les réseaux sociaux. Un moine-soldat du numérique qui a compris avant d’autres que la Toile permettait de mener la bataille idéologique en contournant les grands médias. « C’est une machine de guerre et un vrai modèle pour tous les militants RN », assure Antoine Mellies, un de ses amis au parti. « Damien Rieu est véritablement le premier identitaire français, explique Nicolas Lebourg, historien et spécialiste de l’extrême droite française. Au cours des deux dernières décennies, il est l’un des rares profils à avoir émergé. Il ne vient ni de la mouvance nationale-révolutionnaire ni des skinheads. Son influence est réelle. Quand Stanislas Guerini, le patron de LREM, le parti présidentiel, est suivi par 56 000 personnes sur Twitter, Damien Rieu, lui, en a près du double. Il a le don pour transformer en événement national n’importe quel fait divers. »
Moins de deux heures après l’attaque qui a causé la mort de la fonctionnaire de police Stéphanie Monfermé, le 23 avril, il balance sur les réseaux sociaux : « Le clandestin terroriste islamiste de Rambouillet s’appelle Djamel G, né en 1984 à Sousse Tunisie » sans dévoiler ses sources. Et quelques minutes plus tard : « On a trouvé l’identité du terroriste. Certains à gauche vont être très embarrassés. » Chaque drame ou fait divers instrumentalisé par le RN passe par son compte Twitter. Une « nuit d’émeutes » à Tourcoing ? Les vidéos sont très vite en ligne. Et parfois, évidemment, des fake news: il a récemment relayé le témoignage d’un faux professeur assurant que « [s]es élèves refusent que l’on parle de laïcité et de la Shoah », repris aussitôt par « Valeurs actuelles », l’hebdomadaire de la droite extrême. L’histoire était un canular.
Longtemps dans l’ombre, Damien Rieu a décidé de changer de monde. Inconnu du grand public, l’identitaire 3.0 souhaite quitter le virtuel pour se confronter au réel et au scrutin démocratique : depuis mars, il porte la flamme du RN dans le canton de Péronne, dans la Somme. Avec une chance de gagner le 27 juin prochain : en 2015, les deux candidats frontistes y avaient perdu l’élection de 187 voix. Reste à faire
campagne… « C’est un geek, il a un côté autiste, souligne un jeune militant. Il va falloir qu’il montre qu’il sait séduire les mamies s’il veut être élu. »
Rien ne le prédestinait à devenir cet influenceur aussi écouté à l’extrême droite. Son histoire est celle d’un enfant d’internet tombé dans la radicalité. Fils d’un militant communiste trésorier de sa section, Damien Lefèvre (son vrai patronyme) grandit à Villeurbanne, dans la banlieue lyonnaise, en lisant à la maison « le Monde » et en s’amusant à imiter les dessins de Plantu. En 2002, il participe, comme des millions de Français, aux manifestations contre Jean-Marie Le Pen. « J’étais complètement anti-France à cette époque, dit-il aujourd’hui. Lors de la Coupe du Monde de 2002, je voulais que l’équipe nationale perde. Je détestais mon pays. » Une première bascule a lieu à l’école. « Un jour, dans mon lycée, il y a eu une énorme bagarre. L’enjeu? Le contrôle de la cour de récréation. D’un côté, il y avait les skateurs qui écoutaient du metal et de l’autre, les racailles. Les surveillants ne contrôlaient rien. Ils étaient paniqués. A la fin, ce sont les racailles qui ont gagné et ils ont pu faire venir la drogue. » Il assure voir alors son lycée changer en quatre petites années. « A la fin, j’étais le seul Blanc. » Son « grand remplacement » à lui, du nom de cette théorie popularisée par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus sur un remplacement organisé des populations autochtones européennes par des immigrés, à laquelle il adhère. Tout en se proclamant « anticomplotiste »…
A l’époque, le débouché politique lui paraît évident : il prend sa carte au Front national de la Jeunesse (FNJ).
Il brave l’interdit familial et se cherche un pseudo pour éviter d’être reconnu. Dans une rue de Lyon, il tombe sur une a che d’André Rieu, le célèbre violoniste néerlandais. Qu’importe s’il est plutôt fan du rappeur Booba, son nouveau nom est choisi. Mais la supercherie ne dure pas longtemps. Un jour de campagne, en 2007, son bus de militants FNJ et son chau eur se retrouvent au centre d’une altercation qui dégénère. La police embarque tout le monde. Damien Rieu, mineur, ne peut empêcher les policiers de prévenir son père, qui le met à la porte. « Je me suis retrouvé à la rue à cause de mes idées et de mon militantisme. » Et avec une grosse déception : ses camarades frontistes ne lui o rent aucune aide.
PRO DE L’AGITPROP
Le jeune Rieu ère de foyer en foyer, mais se trouve une famille d’adoption. C’est le Bloc identitaire et Rebeyne (« Révolte » en patois lyonnais), un groupuscule d’activistes obsédés par l’immigration et l’islam. C’est là qu’il commence à apprendre les rudiments de l’agitprop. Sa première opération médiatique? En 2010, un masque de cochon sur la tête, il investit un Quick « halal » à Villeurbanne avec ses amis. En 2012, c’est en bloquant le chantier d’une mosquée à Poitiers qu’il se fait connaître. La même année, il cofonde Génération identitaire, dont il sera l’un des visages pendant trois ans. Provocateur, le groupuscule se targue d’être un « Greenpeace de droite ». Rieu, étudiant en com, se fait alors virer de la maison d’édition lyonnaise dans laquelle il fait son alternance. Mais poursuit sa nouvelle carrière
“CE MONSIEUR CONFOND L’ISLAMISME RADICAL ET LES MUSULMANS.”
DAMIEN ABAD, PRÉSIDENT DU GROUPE LR À L’ASSEMBLÉE
d’activiste-influenceur sur Fdesouche. A l’époque, ce site émergent recense chaque fait divers impliquant un immigré et devient vite incontournable au FN. Rieu prend contact en 2008 avec Pierre Sautarel, son fondateur, se lie d’amitié avec lui et intègre l’équipe de contributeurs. Aujourd’hui, ce dernier est fier de son poulain, de « sa bonne école de formation » et « que des partis politiques permettent à des profils comme lui d’être candidats ». D’ailleurs un autre identitaire y a trouvé une place de choix, le Niçois Philippe Vardon, très écouté, lui aussi, par Marine Le Pen.
Dans l’ombre, Rieu monte dans la galaxie RN. Salarié de l’agence de communication lyonnaise Janus, il est embauché à la communication de la mairie de Beaucaire, au service de son nouveau jeune maire frontiste, Julien Sanchez. Puis s’occupe des réseaux sociaux de Marion Maréchal. Une rencontre déterminante. « Marion, c’est moi avec des cheveux. On a le même caractère », dit-il. La petite-fille de Jean-Marie Le Pen a vite repéré le potentiel de ces identitaires très en phase avec sa ligne : « Leur profil est intéressant. Ils viennent de milieux populaires, ce sont des jeunes qui ont été confrontés à l’insécurité et l’immigration », dit-elle. En 2014, la jeune pousse frontiste épouse un nouveau combat, il s’engage auprès de SOS Chrétiens d’Orient, une association qui vient en aide aux chrétiens persécutés au Proche-Orient, cofondée par Charles de Meyer, aujourd’hui assistant parlementaire de l’eurodéputé RN Thierry Mariani. Il se rend en Syrie, en Egypte et en Irak, en mission dans la ville chrétienne de Qaraqosh qu’il ne quitte que quelques jours avant l’arrivée de Daech.
CIBLE PRÉFÉRÉE : LA DROITE
Son activisme anti-immigrés lui vaut des déboires: en 2012, il est poursuivi après l’occupation de la mosquée de Poitiers. En 2018, il est condamné en première instance après avoir prêté main-forte à ses anciens camarades de Génération identitaire lors de l’occupation du col de l’Echelle pour bloquer les migrants dans les Alpes. A chaque fois, il est relaxé en appel. Ce CV, pas vraiment compatible avec la dédiabolisation chère à Marine Le Pen, n’empêche pas la patronne du RN de le récupérer et de le choyer. « Génération identitaire ne justifie pas la dissolution dont l’association a été frappée », assure la candidate à la présidentielle, qui excuse le passé de sa recrue : « On ne peut pas barrer la route à quelqu’un qui veut être candidat au motif qu’il y a sept, dix ans, il avait choisi des voies un peu plus radicales. » Damien Rieu, lui, joue le bon soldat : « La ligne du RN aujourd’hui est parfaite. Je m’y retrouve totalement. Je ne changerais rien. »
Ses cibles préférées : les hommes et femmes politiques de droite qui fricotent trop, selon lui, avec l’islamisme. Il vient de lancer un nouveau site baptisé « Lescomplices. info ». « Vous, à gauche, vous assumez. Ce que je déteste, c’est l’hypocrisie de la droite sur ce sujet », a rmet-il. Parmi les élus victimes de ses attaques: hier Alain Juppé et François Fillon, aujourd’hui Gérald Darmanin et Xavier Bertrand. « Croyez-moi ou non, mais 75% de mes infos, ce sont des militants LR qui me les filent », dit-il avant de se présenter en lanceur d’alerte (comme il se décrit sur son compte Twitter) : « Combien de journalistes enquêtent sur les islamistes en France? Pourquoi vous n’écoutez jamais les prêches des imams? Il n’y a aucun journaliste spécialiste ou arabisant dans vos rédactions ! Je fais votre travail ! » Lui-même ne parle pas arabe et se contente souvent de relayer des images ou des échos parus dans la presse. Tant qu’ils servent la cause. « Ce monsieur confond l’islamisme radical et les musulmans, tranche Damien Abad, patron des députés LR et visé lui aussi par ses tweets pour avoir visité le chantier d’une mosquée. C’est d’ailleurs à rebours du discours de Marine Le Pen qui dit que l’islam est compatible avec la République, ce qui prouve les faux-semblants du RN. »
Comme Marine Le Pen, il récuse l’étiquette d’extrême droite. « Je méprise l’antisémitisme. Je me retrouve totalement dans la dédiabolisation. » Un de ses copains le décrit comme « un fan de Laurent Alexandre [le fondateur de Doctissimo devenu un essayiste en cour au RN, NDLR]. Il n’est pas contre le progrès technologique, comme beaucoup le sont à droite ». Damien Rieu préfère lire David Goodhart et Christophe Guilluy, des auteurs décrivant les fractures sociales causées par une mondialisation malheureuse, plutôt que Charles Maurras et Jacques Bainville, auteurs vénérés de l’Action française. D’ailleurs, il grince des dents quand il est qualifié d’identitaire : « Je pense que je ne peux pas être résumé qu’à cela. » Avant de retourner sur Twitter relayer la prochaine polémique du RN.
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“MARION, C’EST MOI AVEC DES CHEVEUX. ON A LE MÊME CARACTÈRE.”
DAMIEN RIEU