L'Obs

L’usine “qui pue” et ses milliers d’emplois

A Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône, les riverains d’un site de production de pâte à papier dénoncent depuis de longues années ses pratiques polluantes. Mais ses propriétai­res, opportunis­tes, ont convaincu les pouvoirs publics de le sauver

- De notre envoyée spéciale, MORGANE BERTRAND Photos SANDRA MEHL

Françoise Nyssen ne décolère pas. L’ancienne ministre de la Culture, qui a repris sa vie à Arles et ses fonctions de dirigeante de la maison d’édition Actes Sud, est excédée de voir l’usine de pâte à papier Fibre Excellence de Tarascon (FET), dont les cheminées crachent en continu des fumées aux cinquante nuances de gris, sauvée de la faillite par le gouverneme­nt. « J’ai remis en main propre un dossier sur cette installati­on polluante dès 2018 à Nicolas Hulot [alors ministre de la Transition écologique, NDLR], mais ses services ont jugé que c’était une bonne usine. C’est incroyable ! » Son mari, Jean-Paul Capitani, est lui aussi intarissab­le sur les « gougnafier­s » à la tête de cette « usine malsaine qui balance des saloperies dans l’atmosphère », et qu’il tient pour responsabl­e de son asthme, malgré les 16 kilomètres qui les séparent. « Elle n’a rien à faire là. Elle a été créée en 1951 pour fabriquer de la pâte à partir d’alpha venu d’Algérie. C’est un héritage de l’époque coloniale ! Au nom de l’emploi et pour le compte d’un groupe internatio­nal aux activités illisibles, on porte à bout de bras une usine du passé. » Le couple lui souhaite le même destin que les mines de charbon, « qu’on a bien fait de fermer ». Mais leur voeu n’est pas près de se réaliser.

De la Camargue au pied des Alpilles, tout le monde connaît l’usine de Tarascon, énorme bâtiment planté depuis soixante-dix ans au bord du Rhône, classé Seveso et dont l’odeur de chou pourri enveloppe Arles par mistral, et Tarascon et Beaucaire par vent de mer. Et malgré son placement en redresseme­nt judiciaire le 8 octobre dernier, elle semble bien là pour durer. Les salariés et l’exécutif ont bataillé avec succès pour qu’elle soit reprise. Bercy, d’abord, a débloqué 8,6 millions d’aide directe pour soutenir l’activité et s’apprête à remettre la main au portefeuil­le pour accompagne­r le repreneur. Même si celui-ci n’est autre que l’ancien exploitant défaillant. Une ordonnance, destinée à limiter la casse économique liée au Covid-19, permet en e et la reprise d’une entreprise en cessation de paiement par son ancien dirigeant dès lors qu’il n’y a pas d’autre repreneur. Une aubaine pour Fibre Excellence, dont l’usine de Tarascon n’a cessé de perdre de l’argent jusqu’en 2020 (jusqu’à 30 millions d’euros en 2019, pour 117 millions de chi re d’a aires), puisqu’elle lui permet de racheter sa propre a aire allégée d’une dette de 120 millions d’euros, au moment même où son

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René Sale, délégué FO des Bouches-du-Rhône, et Yannick Farré, délégué FO de l’usine de Tarascon.

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