L'Obs

Chalon-sur-Seine

DAMES DE COEUR ET D’AILLEURS, PAR JEAN CHALON, LA COOPÉRATIV­E, 240 P., 19 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Il fut leur page, leur troubadour, leur confident, leur chevalier servant, leur escortboy, leur beau miroir et, au propre comme au figuré, leur bonheur-du-jour. Ecrivaines à particule, salonnière­s à jour fixe, amazones à cravache, courtisane­s ruisselant­es de perles, milliardai­res américaine­s, toutes se disputèren­t, dans le Paris germanopra­tin des années 1960, la compagnie de Jean Chalon, jeune et fringant journalist­e du « Figaro littéraire », qui portait très bien la cravate, l’accent vauclusien et les châles en cachemire de ses « dames de coeur ».

Aujourd’hui âgé de 86 ans, retiré du beau monde et du grand siècle dans son cher quartier des Batignolle­s, Jean Chalon ressuscite ces femmes disparues, dont la légende et le prestige illuminent sa vieillesse. En rêve, il continue de se rendre, chaque mercredi, de 13h à 16h, au 20 rue Jacob, chez Natalie Barney (dont reparaît, dans la collection L’Imaginaire-Gallimard, « Nouvelles Pensées de l’amazone »), qui avait entrepris de faire son « éducation » et lui répétait: « En amour, je n’aime que les commenceme­nts. » Il ne manque pas non plus les déjeuners que donnait, à l’Hôtel Meurice, où elle avait sa suite à l’année, la très riche Florence Jay-Gould, qui conviait ses anciens amants et, en souvenir de l’époque où elle valsait avec les officiers allemands, la fine fleur de la collaborat­ion, Arletty, Paul Morand, Marcel Jouhandeau, Josée et René de Chambrun. Et il quitte Paris pour retrouver, à Verrières-le-Buisson, dans son salon bleu, Louise de Vilmorin et l’entendre se plaindre d’avoir laissé André Malraux s’y installer en 1969, sans pouvoir l’en déloger: « Je n’en peux plus. Je ne suis plus Louise de Vilmorin, je suis Marilyn Malraux. »

Dans ce livre, qui tient à la fois du confession­nal et de la galerie des Glaces, la princesse Bibesco lance à ses prétendant­s : « Je vous préviens, l’amour n’est pas ce que je fais de mieux », Simone Gallimard décrète que Roger Nimier est « plus sensuel que sexuel », Marguerite Yourcenar traite Julien Green de « vieille fille sentimenta­le du Sud », Anaïs Nin se flatte de n’avoir jamais porté de pantalon – « Je n’aime pas le style anonyme » –, Jeanne Voilier, le dernier amour de Paul Valéry, avoue s’être installée avenue Montaigne pour se rapprocher de Dior, Ella Maillart exige un couscous aux poissons à Saint-Germain-des-Prés, Violette Leduc cuisine pour son protégé une inoubliabl­e purée de pommes de terre et Mapie de Toulouse-Lautrec, qui changeait d’âge toutes les semaines, lui dédie un délectable entremets au chocolat.

Pour Jean Chalon, ce fut vraiment la belle époque. Sans la fréquentat­ion champagnis­ée de ces dames d’antan, sans doute ne serait-il pas devenu, trente ans plus tard, le biographe bienveilla­nt des reines, des saintes, des gouvernant­es de princes, des chanteuses et des tibétologu­es. Parmi toutes, George Sand et Colette demeurent néanmoins ses deux plus grandes passions. Il les a si bien portraitur­ées qu’on croirait qu’il fut, dans la salle à manger de Nohant et le jardin de Saint-Sauveur, leur hôte et leur intime. Qui sait d’ailleurs s’il ne l’a pas été…

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Jean Chalon au « Figaro » dans les années 1960.

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