Le mentir-vrai de Christophe
Un an après la mort du chanteur des “Mots bleus”, on publie ses Souvenirs, qui sont plutôt des propos décousus ViVre la nuit, rêVer le jour, par Christophe, Denoël, 272 p., 21,90 euros.
pas sûr que Christophe aurait aimé voir le livre publié tel quel. Des Mémoires ? pour lui, c’était une histoire régulièrement mise sur le tapis (de jeu). au fil des ans, il avait envisagé nombre de ses amis pour l’aider à rapiécer ses « trous de mémoire ». les derniers temps, il imaginait faire un spectacle de souvenirs, qu’il aurait romancés à sa guise, préludes-interludes aux chansons. artiste en camouflage, « un peu menteur, plutôt claqueur », expert en échappées libres, il aimait « faire son ciné ». il disait aussi que, plus jeune, il avait pensé se faire enterrer dans un Victory Wurlitzer, juke-box adoré. un an après sa mort paraît donc ce livre sous-titré « souvenirs ». en fait, il assemble probablement des propos recueillis, ce qui a le mérite de ressusciter la voix du chanteur, son phrasé, silences et illuminations, et l’inconvénient de souvenirs à brûle-pourpoint et de dérapages incontrôlés. on les imagine enregistrés au bout de la nuit, sur un coup de lune… Confessions en suspension, quand les corneilles du boulevard Montparnasse s’éveillent et que Chris va se coucher. a la lecture, tout date des années 2008-2010, du temps de l’enregistrement d’« aimer ce que nous sommes ». ecoutons alors le livre comme une bande magnétique. les premiers émois, la soeur de son père, si élégante, avec qui il croise Colette dans les jardins du palais-royal, se retournant sur sa tante, « c’est dire comme elle était belle ». les départs en week-end avec ses parents dans une « décapotable bleu ciel, intérieur cuir bleu marine » ou « sa première chambre d’écho », quand il se glisse dans la lessiveuse en zinc de sa grand-mère pour « faire des sons avec sa voix ». son amour des chevaux quand il pratique le dressage à Grosbois et manque devenir jockey, dont il avait la silhouette. sa grande amitié avec Darry Cowl et leur passion pour la pétanque. la quête du Graal en 35 mm (« La sensualité de la pellicule, c’est d’abord l’odeur »). et des haïkus bevilacquiens : « Le succès fou, ce n’est pas une question de voitures, mais de chaussures. »