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MELANCOLIA, PAR MIRCEA CARTARESCU, TRADUIT DU ROUMAIN PAR LAURE HINCKEL, NOIR SUR BLANC, 208 P., 19 EUROS.

- DIDIER JACOB

Qui peut battre Mircea Cartarescu? Et si l’on devait décerner, aussi absurde en soit l’idée, le titre de meilleur écrivain du monde, l’écrivain roumain ne serait-il pas le candidat idéal ? Après l’immense « Solénoïde », romanmonde de près de 1 000 pages dont l’inspiratio­n évoquait à la fois Borges et Kafka, Mircea Cartarescu (il est né en 1956) a peut-être voulu montrer qu’il n’était pas moins à l’aise dans le genre de la nouvelle. « Melancolia » en comporte trois, enchassées comme trois diamants dans une monture à connotatio­n mythologiq­ue – deux contes qui encadrent le recueil. Il ne se passe presque rien, dans « Melancolia » : un jeune garçon attend sa mère qui n’est pas revenue des courses. C’est l’attente d’une vie, peut-être de l’éternité tout entière. Histoires de jeunes hommes solitaires (le héros des « Peaux » est à 15 ans, lit-on, « la personne la plus seule sur terre »), abandonnés à leur terreur de ne jamais rencontrer l’autre, à leur nostalgie. C’est un monde froid, qui évoque les grandes architectu­res oniriques de Chirico transposée­s dans l’est de l’Europe, comme cette usine de caoutchouc qu’aperçoit depuis son balcon l’enfant des « Ponts ». Chaque jour, il pleure sa mère disparue. Il ne s’alimente plus. Il a presque oublié le goût de la nourriture. Il n’utilise plus les toilettes, un élément de décor qui, dans le modeste appartemen­t où il est livré au terrible démon de l’ennui, paraît chaque jour plus obsolète. Mais, à la nuit tombée, un monde nouveau s’offre à lui, par les fenêtres de l’appartemen­t qu’un elfe invisible ouvre tous les soirs. Des ponts inventés par quelque malicieux architecte lui permettent en effet de quitter l’appartemen­t, dont les autres issues sont bouchées, comme si son immeuble avait été enseveli sous des pelletées de terre. Monde rêvé ? Cauchemard­é ? Les balades du gamin dans la ville sont, en tout cas, une féerie sans pareille. En inventeur d’un mouvement dont il est l’unique représenta­nt, celui de l’irréalisme magique, Cartarescu se permet même un clin d’oeil inattendu et facétieux à Tim Burton, quand son jeune héros découvre, dans le sous-sol d’un entrepôt vide, le corps de sa mère en chocolat, immense sarcophage dans lequel il va se lover, dégustant des petits bouts de sa maman chocolatée en fondant littéralem­ent d’un bonheur retrouvé. « Melancolia » est une fantasmago­rie inouïe, un Luna Park fictionnel où de vertigineu­ses attraction­s vous attendent. N’attendez pas. Sautez !

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