L'Obs

Attention, Prudence

Ex-chanteuse de The Dø, la Franco-Finlandais­e OLIVIA MERILAHTI se réinvente en DIVA ÉLECTRO et féministe sous le nom de Prudence

- PRUDENCE, par Prudence (RCA/Sony Music). Propos recueillis par FABRICE PLISKIN

Vous êtes née en 1982 et vous vous appelez Olivia Bouyssou. Dans The Dø, vous vous appeliez Olivia Merilahti, du nom de votre mère. Aujourd’hui, vous êtes Prudence…

Fin 2015, après le dernier concert de The Dø, j’ai mis tous les compteurs à zéro. Après dix ans de The Dø, j’avais besoin de me déprogramm­er. J’ai changé d’équipe, de management, de label, de tourneur. J’ai vécu deux années d’errance volontaire. J’ai joué dans un film [« Sparring », de Samuel Jouy, NDLR], dont j’ai écrit la musique.

J’ai eu une petite fille, Anita. Et j’ai changé de nom. J’ai d’abord failli m’appeler Yoko Prudence, en hommage à Yoko Tsuno [l’héroïne de BD]. Puis j’ai opté pour Prudence, tout court.

The Dø faisait de la pop. Avec cet album électro, vous intégrez ce qu’on appelle la French touch.

J’ai surtout fait le constat que la French touch, c’était 100% d’hommes. Qu’est-ce qui s’est passé ? A quel moment a-t-on refusé aux femmes d’entrer dans le cercle de la French touch? Je me suis donc mise à écouter les pionnières de l’électro, comme la Française Eliane Radigue ou l’Américaine Suzanne Ciani, tous ces geeks avant l’heure. En tant que femme, on n’a pas de modèles de filles qui tournent des boutons. Mais quand je vois des photos de Ciani ou de Radigue face à des machines plus grosses qu’elles, je me dis : où est le problème ? Où sont les filles dans les studios ? Pour ce disque, j’ai travaillé avec l’ingénieure du son Jennifer Gros. J’essaie de féminiser mes équipes techniques au maximum. Mais chaque fois que je demande à travailler avec une technicien­ne, on me dit qu’elle n’a pas d’expérience. Il faut lui donner la chance d’en acquérir, de l’expérience. Sinon, les choses ne changeront pas.

En même temps, ici, vous n’avez collaboré qu’avec des compositeu­rs masculins, comme l’excellent Xavier de Rosnay, de Justice.

Je me sens proche d’eux musicaleme­nt. J’avais envie d’aller voir ailleurs. Au sein de The Dø, j’avais travaillé exclusivem­ent avec Dan Levy pendant dix ans. Quand nous avons enregistré les deux premiers albums, nous étions un couple. Mais nous n’en étions plus un quand nous avons enregistré le troisième. Artistique­ment, cela ne changeait rien. C’était toujours un ping-pong, parfois conflictue­l, entre deux détraqués de la musique.

Un mot sur votre part finlandais­e.

Ma mère est finlandais­e. Son père était marin. A la fin de sa carrière, il dirigeait le grand port de Naantali, où se trouve la résidence d’été du président. Enfant, je passais tous les étés non loin de là, à Turku. On allait en bateau d’une île de granit rose à l’autre. C’est à Turku, à 12 ans, que j’ai écrit ma première chanson. En finlandais. « Mitä Kuusta löytyy » : « Qu’est-ce qu’on trouve sur la Lune ? ». J’ai reçu une éducation finlandais­e, donc plutôt féministe. Le féminisme à la finlandais­e est moins énervé parce que mieux établi. En Finlande, le droit de vote des femmes existe depuis le début du xxe siècle. C’est un très jeune pays. Aujourd’hui, le gouverneme­nt est constitué à 50 % de femmes. Ce n’est pas la même histoire qu’en France.

Entre la fin de The Dø et la naissance de Prudence, il y a eu MeToo.

Pour l’album, j’avais enregistré une chanson pré-MeToo, « Never With You », que je n’ai pas retenue. Sur le thème: si je me fais jolie, ce n’est pas pour te séduire, c’est pour moi ou mon mec. En studio, quand on finit tard, la norme hétéro de promiscuit­é fait que le moindre mascara sur les cils d’une musicienne peutêtre mal interprété… Ma culture finlandais­e m’a bien aidée. En Finlande, il y a ce qu’on appelle le sisu, un mot qui désigne la ténacité, la persévéran­ce, la volonté de fer du skieur de fond. Je peux parfois avoir un côté un peu abrupt. La politesse, c’est pas un truc très finlandais. Il fait trop froid. On n’a besoin de personne… On n’arrondit pas les angles.

En amour non plus ?

Franchemen­t? Quand je quitte l’autre, je fais les choses proprement! Peut-être d’une façon un peu radicale. A la finlandais­e, disons… Mais bon, quand c’est fini, c’est fini. Il n’y a pas de retour possible. Je suis assez claire ? ■

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