Et la lumière fut !
Les salles rouvrent mais que pourra-t-on y voir? Des COMÉDIES FRANÇAISES aux BLOCKBUSTERS AMÉRICAINS, des biopics aux films de CANNES, voici le programme d’une année de cinéma qui commence aujourd’hui
On a du mal à y croire. Après deux cents jours de fermeture imposée, les cinémas rouvrent. Le métier respire mais l’atmosphère est chargée, et la crainte de l’embouteillage monstre, digne d’une veille de 15 août: plus de 450 films sont prêts, de la reprise d’« A bout de souffle » aux « Tuche 4 ». « On a le sentiment d’arriver au bout d’un tunnel, confie la productrice et distributrice Alexandra Henochsberg (Ad Vitam). Nous sommes ravis mais avec l’impression d’être au pied de l’Everest. C’est la première fois dans l’histoire que les salles ferment aussi longtemps, on a perdu nos repères : qu’est-ce qu’une bonne date de sortie ? Quelle va être la concurrence ? Comment va réagir le public ? Je suis confiante : les gens meurent d’envie de sortir de chez eux, de vivre une expérience collective, de voir des films de cinéma. Il y aura de la casse, mais espérons qu’une majorité de titres aura la chance d’exister. » Spécialisée dans le cinéma d’auteur, Ad Vitam a choisi de sortir « Des hommes », l’adaptation par Lucas Belvaux du roman de Laurent Mauvignier sur la guerre d’Algérie, avec Gérard Depardieu et Jean-Pierre Darroussin, dès le 2 juin. Le même jour que « Petite Maman » de Céline Sciamma, chronique de l’enfance dans la lignée de son « Tomboy », et avant que les blockbusters américains n’envahissent le terrain en juillet, date à laquelle les jauges devraient avoir sauté, le protocole étant fixé à 35 % de remplissage pendant trois semaines, 65 % les trois suivantes avant un retour à la normale le 30 juin. Si tout va bien.
L’EFFET OSCARS
En pole position, les lauréats des Oscars devraient profiter du buzz de la cérémonie. Dès le 26 mai, vous pourrez voir « The Father » de Florian Zeller, oscars de l’adaptation et de l’acteur pour Anthony Hopkins, et le pamphlet #MeToo « Promising Young Woman » d’Emerald Fennell, oscar du scénario original. Suivront, le 9 juin, le beau « Nomadland » de Chloé Zhao, portrait d’une veuve délogée par la crise et épousant une vie itinérante,
couronné trois fois (film, réalisation et actrice pour Frances McDormand) et, le 23 juin, « Minari », sur une famille de Coréens devenus fermiers dans l’Arkansas, dont l’interprète de la grand-mère, Yuh-jung Youn, en récupérant sa statuette du meilleur second rôle féminin, égratigna Brad Pitt, producteur du film: « Enfin! Ravie de vous rencontrer. Où étiez-vous quand nous tournions à Tulsa? »
LES RESCAPÉS DU COVID
Ils venaient de sortir ou devaient débarquer fin 2020, se sont vu couper l’herbe sous le pied par le deuxième confinement mais ont résisté à l’appel des plateformes, qui les auraient bien rachetés pour profiter de leur notoriété acquise. Ce sont « ADN » de Maïwenn, resté un jour en salles ; « Falling », le premier film de l’acteur Viggo Mortensen; et « Mandibules » de Quentin Dupieux. Tous trois sont programmés dès la réouverture (lire en pages Voir). « “Mandibules”, comédie solaire idéale pour le mois de mai, a l’avantage de durer 1h15, pour une séance à 19h30. Les gens auront le temps d’y aller après le boulot et même de boire un verre en terrasse avant le couvre-feu de 21 heures », note son producteur Hugo Sélignac, de Chi-Fou-Mi Production, qui revient de loin : en mars, une copie du film fuitait sur le web après sa présentation dans un festival lituanien. « On a senti un ras-le-bol du piratage, tempère Sélignac. Une solidarité s’est manifestée entre twittos affirmant qu’ils iraient voir le film en salles. » Et quid de « Bac Nord », avec Gilles Lellouche en flic de la brigade des stups marseillaise, autre production Chi-Fou-Mi qui devait sortir fin 2020 et dont les affiches ont longtemps tapissé Paris? « C’est nous qui, avec le distributeur StudioCanal, avons demandé à Decaux de les retirer. Pour sortir “Bac Nord”, nous attendrons que les jauges soient revenues à 100 %. » Même logique pour « Aline », le vrai-faux biopic sur Céline Dion, par et avec Valérie Lemercier, au budget de 23 millions d’euros, repoussé d’un an (10 novembre) par la Gaumont pour lui donner toutes ses chances.
LE CASSE-TÊTE DES BLOCKBUSTERS
Le public adolescent, biberonné à Netflix et qui a découvert « Wonder Woman 1984 » ou « Godzilla vs Kong » à la maison, retournera-t-il en masse au cinéma? La question fait trembler Hollywood, usine à blockbusters, dont les stratégies de sortie mondiale virent au casse-tête face à une pandémie qui touche chaque pays selon une temporalité différente, et à la menace du piratage et des fuites sur le web en cas d’exploitation localisée. Parmi les plus attendus, citons « Dune », nouvelle adaptation par Denis Villeneuve (« Blade Runner 2049 ») du roman-somme de Frank Herbert, dont David Lynch tira son pire film (15 septembre); le bien nommé « Mourir peut attendre », ultime James Bond avec Daniel Craig, déjà reporté trois fois (6 octobre); le retour de Tom Cruise, dans le rôle qui fit de lui une star il y a trente-cinq ans, avec « Top Gun. Maverick » (17 novembre); le moyenâgeux « The Last Duel » de Ridley Scott avec Matt Damon, Adam Driver et Ben Affleck en Charles VI (13 octobre); le remake de « West Side Story » par Steven Spielberg (8 décembre) ; le quatrième volet de la saga « Matrix » (15 décembre). Et pour ceux qui croient encore à l’avenir artistique des franchises de super-héros, signalons « Black Widow » de Cate Shortland avec Scarlett Johansson (7 juillet) et « Eternals », signé Chloé Zhao, avec Angelina Jolie et Salma Hayek (3 novembre), garants de la féminisation du genre menée par Disney.
RIRE, BOIRE ET CHANTER
Autre moteur de la fréquentation des salles, les comédies vont se bousculer dans les mois qui viennent : « Kaamelott » de et avec Alexandre Astier (21 juillet), « OSS 117. Alerte rouge en Afrique noire » de Nicolas Bedos avec Jean Dujardin (4 août), « le Trésor du Petit Nicolas » (29 septembre) et « Qu’est-ce qu’on a tous fait au bon Dieu ? » (13 octobre). Pour plus d’originalité, vous aurez le choix entre deux pères célibataires (les frères Podalydès) face à l’ubérisation du travail (« les 2 Alfred », 16 juin), les copines de galères Sara Forestier et Laetitia Dosch (« Playlist », premier film de la bédéaste Nine Antico, 2 juin), un ado acnéique et lycanthrope (« Teddy », 30 juin), deux lascars
de La Courneuve en marivaudage dans la Drôme (« A l’abordage », le 21 juillet) ou une chorale de pêcheurs anglais (« Fisherman’s Friends », le 7 juillet). Attendront la rentrée « Un triomphe » avec Kad Merad en prof de théâtre pour détenus (1er septembre) et « l’Origine du Monde » de et avec Laurent Lafitte d’après la pièce de Sébastien Thiéry (15 septembre). Par chance, « 8 rue de l’Humanité » de Dany Boon, sur la vie d’un immeuble durant le confinement, ne sera, lui, que sur Netflix.
LA FOLIE BIOPICS
Chéri par les acteurs, toujours enclins à se métamorphoser pour décrocher un prix, et apprécié du public, friand de performances transformistes, le biopic ou portrait de célébrité ne passe pas de mode. Alors, qui de la chanteuse de jazz Andra Day en Billie Holiday (« Billie Holiday. Une a aire d’Etat » de Lee Daniels, 2 juin), de Jean Dujardin et Grégory Gadebois en duo Sarkozy/Hollande (« Présidents » d’Anne Fontaine, 30 juin), de Romain Duris en Gustave Ei el (« Ei el » de Martin Bourboulon, 25 août), de Kristen Stewart en Lady Di (« Spencer » de Pablo Larrain) ou de Lady Gaga en épouse meurtrière de l’héritier Gucci (« House of Gucci » de Ridley Scott, 24 novembre) singera le mieux son modèle ?
CANNES… EN JUILLET
Pour redonner le goût des auteurs et redorer un glamour mis à mal par le home cinéma et la dernière cérémonie des César, on attend le Festival de Cannes. Décalé de deux mois, l’événement aura lieu du 6 au 17 juillet. A moins que d’ici là une quatrième vague n’emporte les espoirs de tapis rouge et de soirées masquées. « Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme, de volonté », alors croyons-y. En ouverture du grand raout cinéphile, le musical « Annette » de Leos Carax, écrit par les Sparks, avec Marion Cotillard, cantatrice, et Adam Driver, comédien de stand-up, parents d’une gamine prodige, sortira le même jour en salles. Même régime pour « Benedetta » de Paul Verhoeven: prêt depuis 2019, repoussé deux ans de suite (souci de santé du cinéaste, annulation du festival à cause de la pandémie), le dernier brûlot du réalisateur de « Basic Instinct », avec Virginie Efira en nonne homosexuelle dans l’Italie du e siècle, sera enfin dévoilé, sur la Croisette et partout en France, le 9 juillet. « On espère vraiment que Cannes aura lieu pour repartir », confie le distributeur Alexandre Mallet-Guy. Sa société Memento Films n’a pas moins de six films en lice pour le festival. Dont « les Olympiades » de Jacques Audiard, carré amoureux et bisexuel, avec Noémie Merlant et Jehnny Beth (27 octobre) ; « Arthur Rambo » de Laurent Cantet, inspiré de l’a aire Mehdi Meklat (29 septembre) ; « Guermantes » de Christophe Honoré, une fiction tournée à la Comédie-Française pendant les répétitions de sa pièce adaptée de Proust (15 septembre) ; « Ouistreham », d’Emmanuel Carrère, d’après le livre de Florence Aubenas, incarnée par Juliette Binoche (12 janvier 2022); et « Un héros », le nouveau thriller moral du réalisateur iranien d’« Une séparation », Asghar Farhadi (22 décembre). Parmi les autres titres à peu près sûrs d’être sélectionnés, notons « Bergman Island » de Mia Hansen-Love, avec Tim Roth et Vicky Krieps en couple de cinéastes de passage sur l’île de Faro, fief d’Ingmar Bergman (14 juillet); « France » de Bruno Dumont, inspiré de Charles Péguy, avec Léa Seydoux et Blanche Gardin, sur la vie d’une journaliste-star de la télé (1er septembre); « Tre Piani » de Nanni Moretti (27 octobre); « le Journal d’Anne Frank » d’Ari Folman (« Valse avec Bachir »), tiré de son propre roman graphique (24 novembre); ainsi que les nouveaux Wes Anderson (« The French Dispatch ») et Joel Coen (« The Tragedy of Macbeth »), en espérant que les Américains puissent faire le déplacement. Auquel cas, une montée des marches de Clint Eastwood, 90 ans, pour dévoiler son 40e film, « Cry Macho » (10 novembre), serait un beau « Make my day! » lancé au Covid. Sinon, Vincent Lindon devrait être à la fête avec quatre longs-métrages dans les starting-blocks, on pourrait y voir Catherine Deneuve faire son grand retour post-AVC pour défendre « De son vivant » d’Emmanuelle Bercot (24 novembre). Reste à savoir si Sean Penn osera remettre les pieds sur la Croisette, cinq ans après en avoir été la risée avec son mélo humanitaire « The Last Face », pour présenter « Flag Day », sur un trafic de fausse monnaie qui défraya la chronique aux Etats-Unis (15 décembre).
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