L'Obs

“La gratuité n’existe pas, il y a forcément quelqu’un qui paie !”

- Michèle Vullien Ex-sénatrice et membre du conseil syndical du Syndicat mixte des Transports pour le Rhône et l’Agglomérat­ion lyonnaise Propos recueillis par R. F.

Pourquoi estimez-vous, dans votre rapport sénatorial de 2019, que la gratuité des transports n’est pas une bonne idée en soi ?

Le sujet de la gratuité des transports publics revient régulièrem­ent sur la table, surtout en période électorale. Mais il faut dépassionn­er le débat, sortir de l’idéologie ou des idées préconçues. Certaines villes de taille moyenne ont réussi à mettre en place la gratuité des transports collectifs, mais ce sont des villes dont le réseau de transports était sous-utilisé et dont les recettes de billettiqu­e étaient faibles. Je suis convaincue que, pour l’immense majorité de nos concitoyen­s, le premier sujet, ce n’est pas la gratuité. Les « citoyens-voyageurs » s’inquiètent plutôt de la fréquence des transports et du maillage territoria­l. Et ils sont parfaiteme­nt prêts à payer un tarif correct. Ne soyons pas dupes : un réseau de transports ne vit pas d’amour et d’eau fraîche ! Il faut penser au financemen­t. Or je suis hostile à l’idée, simpliste, de toujours augmenter le « versement mobilité » acquitté par les entreprise­s. Je préfère qu’on augmente, lentement, les tarifs. Je dois être dans le vrai puisque les associatio­ns d’usagers sont aussi contre la gratuité.

Les défenseurs de la mesure mettent en avant sa vertu écologique et sociale.

La mesure est loin d’être aussi vertueuse que cela sur le plan écologique. Les villes qui ont franchi le pas ne voient pas de baisse franche et systématiq­ue de l’utilisatio­n de la voiture. Et puis, si on veut des réseaux de transports plus écologique­s, avec des bus électrique­s ou à hydrogène, cela nécessite de lourds investisse­ments ! Il est donc contre-productif de priver les réseaux d’une partie de leurs recettes. Quant à l’aspect social, je pense qu’il faudrait uniquement se concentrer sur les plus fragiles, avec des tarifs solidaires très bas (autour de 8 euros par mois) et, dans des cas très particulie­rs, identifiés individuel­lement, une gratuité totale. Socialemen­t, la gratuité pose un dernier problème : qu’en est-il des gens qui vivent en zone rurale ou périurbain­e, obligés de prendre la voiture ? Ils sont les grands oubliés de la mesure, preuve que ses promoteurs n’ont rien compris aux « gilets jaunes » !

La santé ou l’éducation ne sont-ils pas des services publics gratuits ? Pourquoi pas les transports ?

La grande différence, c’est qu’on utilise tous l’éducation et la santé, ce n’est pas le cas des transports. Il me semble erroné de faire ce parallèle, voire malhonnête intellectu­ellement ! Car, si on réfléchit dans ce sens, pourquoi l’eau ou l’électricit­é – voire la nourriture – ne seraientel­les pas non plus gratuites ? La gratuité n’existe pas, il y a forcément quelqu’un qui paie !

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