L'Obs

Braudeau, sac au dos

LA PORTE DORÉE, PAR MICHEL BRAUDEAU, STOCK, 164 P., 18 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Il était trépidant, le voici nonchalant. Il courait, il marche en arrière. A 74 ans, Michel Braudeau déambule dans Paris pour y glaner des souvenirs que les lieux réveillent et le hasard favorise. Après « Place des Vosges » et « Rue de Beaune », le voici à « la Porte dorée ». Plus exactement boulevard Soult, où il a rendez-vous avec une magnétiseu­se, par ailleurs interprète des chansons de Patachou, qu’une astrologue lui a recommandé­e. Il attend d’elle, ou plutôt de son pendule, des arguments pour relancer sa « fièvre créatrice », qui est retombée, et lui rendre « l’appétit d’aimer », qu’il a perdu. De la consultati­on, Michel Braudeau est sorti avec l’assurance rassurante qu’il écrirait un livre, lequel lui apporterai­t « plein de joie ». Le voici, il en donne aussi au lecteur.

Depuis un immeuble en verre et acier de la rue du Commandant-René-Mouchotte aux allures de paquebot, qui tutoie la tour Montparnas­se, et où il a emménagé au début des années 1990, l’écrivain de « Passage de la Main d’Or » sillonne le vieux Paris des lettres, dont il fut un acteur influent, aux manières farouches d’ours brun. Grand reporter, puis feuilleton­iste littéraire au « Monde », juré du prix Médicis, un temps directeur de la « NRF » et membre du comité de lecture des Editions Gallimard, dont il décrit le cérémonial régalien en quatre pages dignes de Saint-Simon, Michel Braudeau semble arpenter une ville effacée, où errent des fantômes. Ceux d’Elisabeth Gille, qui lui glissa un pied dans l’édition et fut dévorée par « le crabe sur la banquette arrière », de Jean-Marc Roberts, lui aussi terrassé par le cancer, qui publia au Seuil ses premiers romans ou encore de Simone Gallimard, alors patronne du Mercure de France, dont il fut l’employé, mais où il écrivit « Esprit de mai » pour pallier l’ennui de devoir lire des manuscrits. D’autres disparus surgissent de la brume opaque du temps passé : Jean-Pierre Giraudoux, le fondateur du prix Médicis, écrasé par la figure paternelle, inséparabl­e de son furet incontinen­t; Alain Robbe-Grillet, qui se flattait, lorsqu’il forçait sur le vin jaune du Jura, d’avoir eu une famille pétainiste ; l’académicie­n Michel Mohrt, qui, longtemps après avoir collaboré à « Je suis partout », clamait son antisémiti­sme sans se départir d’une « élégance un peu scrogneugn­eu ». Beau portrait, en revanche, d’Antoine Gallimard en « évadé perpétuel », en navigateur fugueur, ne supportant pas qu’on puisse « espérer l’attraper ni le comprendre ». Comme Braudeau luimême, qui affirme être « un adulte libre et sans lien », ayant pris soin d’échapper toute sa vie à ce qui oblige, « la paternité, le couple, les dettes…»

On verra d’ailleurs le romancier de « Pérou » (1998) partir pour ce pays qu’il adore, y accompagne­r son amoureuse, une « Péruvienne impression­nable », y devenir « Miguelito » et laisser, dans une hacienda féodale, un peu de son âme voyageuse. La belle se prénommait Aïda, et annonçait Joaquina, dont un oncle avait été président de la République du Pérou, avec laquelle il repartit pour Lima, et plus loin encore… Il n’y a que Michel Braudeau pour savoir nous conduire, par la seule vertu d’une prose délicate et lascive, de la porte Dorée embouteill­ée jusqu’à une forêt obscure gouvernée par le Sentier lumineux. On le suit sans hésiter. Appelons ça du magnétisme.

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